Errance, Mattia Scarpulla
Quand on a un blogue, doit-on «chroniquer» uniquement les livres qu’on a aimés?
Jusqu’ici, au cours des années, j’ai je l’avoue préféré parler des livres qui m’ont plu, remuée, parfois déstabilisée. La vérité c’est que 99% du temps, devant la multitude de livres qui se trouvent sur ma table de chevet, je préfère abandonner en cours de route devant un livre qui m’interpelle moins pour une raison ou pour une autre. Et, je pense aussi que parfois on est juste pas au bon moment pour accueillir un livre. Un genre de rendez-vous manqué si je peux le dire ainsi. Alors parler d’un livre que je n’ai pas lu jusqu’au bout, je n’en vois pas tant l’utilité et par conséquent, la question ne s’est pas présentée à moi jusqu’ici.
Et puis, il faut le dire aussi! Je sais qu’écrire un livre c’est un processus difficile et par conséquent, je ne vois pas le plaisir de parler en mal d’un livre qui même s’il m’a moins rejointe pourrait très bien s’avérer être une lecture mémorable pour quelqu’un d’autre. Bref! Je trouve largement mon plaisir dans cette idée de donner envie de lire plutôt que le contraire.
Cette fois-ci, je me suis retrouvée avec ce livre, «Errance» de l’auteur Mattia Scarpula que l’éditrice Annika Parance m’a fait gentiment parvenir il y a quelques semaines de cela, un peu comme une surprise dans ma boite aux lettres. L’auteur m’étant inconnu mais la thématique semblant porteuse, j’ai donc entrepris de me laisser porter, sans à priori.
Alors ? Qu’est-ce que ça raconte ?
«Errance», c’est en fait l’histoire de Stefano, un homme d’apparence banale, Italien de naissance mais exilé au Havre. En couple avec Sophie et leur petite fille, Elisa, la petite famille partage ainsi un quotidien que rien ne semble devoir briser. Sauf que voilà, la perte d’emploi de Stefano viendra rapidement brouiller le portrait et devient du coup le déclencheur de l’histoire qui s’apparente je dirais à un genre de «road movie».
En recherche d’emploi, Stafano entre ainsi dans la danse démotivante des rendez-vous chez Pole Emploi, des formations supposées le rendre «employable» et des envois de cv qui s’additionnent les uns aux autres mais néanmoins de façon infructueuse. On lui propose alors de déménager à Brest afin de suivre un stage d’études, temporairement loin de sa famille. Et c’est là, vous l’aurez compris, que ça dérape.
Parce qu’alors, ce sont les souvenirs d’une autre vie, celle où Stefano ne s’appelait pas Stefano mais plutôt Bruno qui reviennent le hanter à travers des flashbacks. Mais aussi, au moyen de cette occasion qui se présente à lui de venger le meurtre de son père, des années plus tôt pendant les années de plomb Italiennes. Il décide alors de retourner en Italie et de retrouver Rodolfo Bossi, l’assassin de son père. Non sans laisser quelques cadavres derrière lui.
Je dois l’avouer, je me suis justement sentie heurtée par moments devant ce qui devient rapidement une accumulation d’actes de violence – une violence qui semble par moments un peu gratuite – que je n’ai pas toujours compris. Toutefois, j’ai persisté à vouloir m’accrocher au questionnement et la réflexion promise par l’auteur à travers cette fiction. À savoir s’il est possible de recommencer sa vie à zéro dans un pays étranger? Devenir quelqu’un d’autre et mettre son passé derrière? Mais aussi, est-il possible d’avoir eu deux vies totalement différentes au cours d’une seule ? Et cela, avec la certitude que tout ce qu’on a enfoui ne reviendra pas nous hanter un de ces quatre matins… Tout cela avec pour toile de fond les défis inhérents à l’immigration en ce qui concerne l’identité d’une personne.
Jusqu’à un certain point et à ce niveau, la lecture m’a interpellée. Toutefois, j’ai été vraiment heurtée je dois le dire par la présentation des personnages féminins qui à mon sens le sont d’une façon qui me semble relever d’une sorte de fantasme masculin un peu déformé. Des femmes qui sont ici présentées à travers des descriptions dans lesquelles se mélangent une violence graphique et presque esthétisée et hyper sexualisation de leurs corps.
On se retrouve ainsi avec des personnages féminins que l’on agresse, que l’on tue.
«Erica tourne sur elle-même en regardant le haut des bâtiments. Je saisis une brique. J’attire Erica dans le passage sombre, entre la cour et le portail. Je la frappe. Je la frappe. Je la frappe. Je la frappe. Son corps est à terre. Je détruis son visage avec la brique. – Erica, il fallait le faire. Sinon, nous nous serions encore rencontrés» (Page 188)
Et quelques pages plus loin:
«Je ralentis notre marche. Je lui mets une main à la gorge. Elle oppose un brin de résistance. Déconcertée. Je mets sa tête contre la pierre. Je lui cogne la tête plusieurs fois dessus. Je la pousse dans l’eau. (…) Dès le soir, les journaux relatent le meurtre d’Érica. On souligne la brutalité de l’assassinat. Je me sens soulagé. Erica n’existe plus.
Le cadavre de Christina a été découvert une semaine plus tard, imbriqué dans un tas d’ordures émergeant de l’eau, vers Boulogne-Billancourt. On a cru à un suicide. Plus tard ça s’est révélé être un meurtre.» (Page 192)
Mais aussi, avec des personnages féminins qui semblent sans autre substance ni motivation que leur corps, qui on le découvre au passage, doivent au demeurant être jeunes (car qu’on se le dise! Quarante ans c’est la vieillesse et ça rime avec cheveux blancs et embonpoint!)… Et on se retrouve ainsi avec une section à la fin présentée sous l’angle de Sophie que l’on découvre d’un coup ultra superficielle alors qu’on ne l’avait pas vue ainsi au début de l’histoire…. Pour ma part, j’ai eu peine à imaginer que ce puisse être le même personnage. La Sophie du début qui supplie presque Stéfano de retourner au Havre, pour leur fille. Et celle de la fin qui ne pense qu’à la fermeté de son corps et à passer d’un homme à l’autre…
«Dans ma jeunesse, je regardais avec étonnement ces femmes aux cheveux gris, parfois avec de l’embonpoint, qui attendaient un enfant. Tellement vieilles! J’ai découvert que quarante ans est l’âge de l’accomplissement, que tout désir devient alors une quête et que le corps ne change plus pendant quelques temps, nous sommes comme ça, ni beaux ni moches. Et finalement nous pouvons désirer baiser, et le faire, parce que nous savons désormais que nous allons mourir et que nous devons en profiter avant.» (Page 274)
Bref! Je termine cette lecture avec un malaise indéfinissable. Et troublée plus encore devant un discours qui, fut il présenté en fiction, trouve difficilement excuse à mes yeux dans le contexte actuel du #MeToo qui n’en finit plus de faire des vagues. Un mouvement à travers lequel la violence faite aux femmes semble aujourd’hui devenue particulièrement indigeste. Même (ou surtout!) en fiction!
Pour ma part, même sous prétexte de création et de fiction, c’est non. Je n’ai pas envie de lire ça.
Mais, en y réfléchissant, je réalise aussi qu’une des pistes possibles de ma déception et de mon inconfort face à «Errance», ça vient peut-être aussi du fait que je ne suis pas parvenue à m’attacher à l’un ou l’autre des personnages, ni même à comprendre le moindrement la quête du personnage de Stefano. Et honnêtement, je pense que devant une fiction, ça m’apparaît un peu comme indispensable d’y croire le moindrement sans quoi on me perd comme lectrice. Mais bon, je dis ça, je dis rien.
N’empêche! Ça me ramène à mon questionnement de départ. Quand on a un blogue, doit-on «chroniquer» uniquement les livres qu’on a aimés? Et se taire pour les autres ? Parce que définitivement, en ce qui me concerne, je ne ressens vraiment aucun plaisir à juger en mal le travail des autres. Mais ce serait un peu irréaliste du même coup imaginer tout aimer n’est-ce pas ?
La vérité c’est que ce n’est là rien d’autres que mon avis sur un livre que j’ai reçu à travers mes filtres alors qu’un autre lecteur l’aura appréhendé tout autrement.
Bref! Malaise et inconfort seraient probablement mes mots du jour après cette lecture. Mais la beauté de la chose c’est que je n’aurai pas assez d’une vie pour lire tous ces autres bouquins qui me font de l’œil.
Celui-ci m’aura seulement moins rejointe. Même si très certainement, il sort des sentiers battus.