Pages féminines d’un autre temps…De l’art de rompre par écrit et avec élégance
Alors qu’il m’arrive d’être scandalisée lorsque j’entends ces histoires de ruptures par textos, je réalise, à la lecture de vieux journaux issus tout droit des années soixante-dix…que nous n’avons vraiment rien inventé !
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L’ART DE ROMPRE PAR ÉCRIT
Il n’est pas facile de rompre pour un homme. La femme a plus de courage. Elle ose dire ce qu’elle pense et surtout ce qu’elle ressent. Elle a l’art de se fâcher et de lancer à son amant ou à son amoureux : « Je ne veux plus te voir »; « je ne t’aime plus »; « c’est fini entre nous » ou « j’aime quelqu’un ». La phrase est lapidaire et le coup porté est fatal. Il n’y a plus rien à faire.
Un homme ne peut employer de tels mots, sauf quelques jeunes barbare! Il faut donc qu’il connaisse l’art de rompre par écrit.
Pourquoi un homme quitte-t-il une femme?
Les raisons qui incitent un homme à quitter une femme sont multiples. Il souffre ou n’est pas heureux parce que sa compagne lui fait mener une vie impossible. Elle est amoureuse ou pas, le point n’est pas là. Son comportement est incompréhensible; elle bouffe tout le temps, devient grasse et paresseuse; elle montre des signes fâcheux de jalousie; elle se fait distante, voir glaciale; elle dépense tout ce qu’elle touche; elle se transforme en femme-enfant; elle ne croit pas en la fidélité ou se porte à la défense de la femme. Voyons quelques cas de rupture, par lettre.
La femme paresseuse
Il n’est pas facile de rompre avec une femme lymphatique, qui a généralement bon caractère et des sentiments vrais et profonds. Quand ça ne va plus, il faut ce qu’il faut.
Ma chérie,
Tu dois être surprise de recevoir une lettre de moi, car je n’écris jamais. Je serai bref. Lorsque je t’ai connue, tu étais vive et mince. Mon amour pour toi était sans bornes, mais depuis quelques mois, tu ne fais plus attention à toi. Tu manges tout le temps et tu deviens moins vaillante. Je t’aime encore, mais différemment. Il est préférable de se quitter maintenant alors que nous nous aimons encore. Je garderai de toi un souvenir éternel.
Adieu,
X
La femme jalouse
La jalousie tue l’amour. Aucun homme ne peut résister aux crises de larmes et aux menaces de son amoureuse, même si elle possède toutes les autres qualités qu’il recherche. Elle commet bêtise sur bêtise, le relance à l’atelier ou au bureau, le torture lorsqu’ils se joignent à des amis, etc. Un homme affligé de la compagnie d’une telle femme peut en rester amoureux, mais il la quittera tôt ou tard :
Mon amour,
Je sais que tu m’aimes. Tu m’en as souvent donné la preuve, mais tu m’aimes mal et tu me causes des peines profondes pour ne pas dire des désespoirs. Je ne comprends pas que tu n’aies aucune confiance en moi. L’amour ne va pas sans une certaine jalousie, mais de là à douter constamment de moi, il y a une marge énorme. Je ne peux plus supporter tes crises. Si tu savais comme je t’aime et que je souhaiterais que tu ne sois pas jalouse d’une façon si maladive! Je dois te quitter, ma chérie, avant qu’il ne soit trop tard et qu’un drame ou des mots regrettables viennent ternir notre amour.
Sois heureuse!
Y.
La femme froide
Un humoriste a écrit qu’il n’y a pas de femmes froides, mais que des hommes maladroits. Il s’agit bien sur d’une boutade. La femme flegmatique existe et si par malheur un homme en tombe amoureux, il doit rompre après un certain temps. Pour la femme frigide, l’amour est une corvée qui ne lui procure aucun plaisir. La femme froide, c’est autre chose. C’est celle qui refuse même l’affection devant les gens. Elle est glaciale, en public. Elle n’accepte ni la tendresse et encore moins les mots gaillards et les histoires grivoises. Elle tient mordicus à donner l’impression qu’elle est une jeune fille ou femme « bien », qu’il faut respecter parce que digne et estimable. Même lorsqu’elle fait l’amour, elle se retient. Elle craint de se déshonorer en participant… ou en parlant d’amour à son compagnon qui va d’ailleurs chercher ailleurs les joies profondes qu’il recherche :
Ma grande,
J’ai pour toi le plus grand respect qu’un homme puisse avoir. J’admire ton intelligence et je souscris à beaucoup de tes idées. Je pense comme toi qu’une femme doit avoir de la tenue et de la distinction. La mère de mes enfants sera respectable, comme toi, mais plus aimante, voire passionnée. Je suis sans doute trop exigeant et je ne trouverais pas une autre perle telle que toi, mais l’amour physique, à tort ou à raison, occupe une telle place dans ma vie que nous ne pourrions être heureux ensemble. Tu trouveras bientôt un homme meilleur que moi qui te rendra heureuse. Je t’aimerai toujours.
Adieux
Z
La femme dépensière
Depuis quelques années, l’homme rencontre de plus en plus de femmes dépensières, qui veulent vivre leur vie pleinement sans se soucier du lendemain. La femme prodigue jette littéralement l’argent par les fenêtres. Elle est insatiable! Rien n’est trop beau pour elle et elle pense « qu’il n’y a que le beau qui soit bon ». Elle a toujours envie de quelque chose : une fourrure, une robe neuve, des bijoux, un repas cuisiné, etc. Aucun homme, à moins qu’il ne soit millionnaire, ne peut satisfaire ses caprices. L’infortuné amant doit rompre avant d’être complètement ruiné :
Mon trésor,
Je t’ai tout donné, mon cœur et quelques présents qui te témoignent tout l’amour que tu m’inspires. Pour toi c’est peu, mais pour moi c’est beaucoup. Hélas! Je ne suis pas fortuné et j’occupe un poste peu rémunérateur. J’aurais aimé mettre à tes pieds tous les trésors de la terre afin de voir pétiller tes jolis yeux, mais je sais que je ne serai jamais riche. Tu ne seras pas pleinement heureuse avec moi, car ta beauté doit être parée des plus beaux atours et des plus rares joyaux. Tu as raison de vivre ta vie. Je te souhaite la richesse et le bonheur auprès d’un homme qui saura satisfaire tes moindres désirs.
Merci pour tout!
W.
La femme-enfant
La femme-enfant est un être adorable mais combien insupportable. Quel homme, si épris soit-il, peut vivre longtemps, auprès d’un grand bébé qui pleure pour un rien, qui se trémousse, qui s’habille et parle comme une gamine et qui flirte en plus, sans toutefois se donner à personne, même pas à ses soupirants? Comme elle manque de maturité, la femme-enfant refuse de vieillir. Son amoureux se lasse vite de ses inepties et de ses caprices et lui envoie une lettre de rupture pour ne plus la voir pleurnicher.
Mon coeur,
Je t’aime comme un enfant qui ne sait s’exprimer. Lorsque je suis près de toi, tu me troubles. Tu es belle comme une madone, mon cœur! Mes amis m’envient! Ils pensent à tort que je suis heureux avec toi. Je dois te dire que ce n’est pas le cas. Je te désire, j’aime te faire l’amour, mais combien je deviens malheureux lorsque tu flirtes ou que tu fais l’enfant. Je ne suis pas jaloux, je suis déçu. Je ne comprends pas ton attitude. Tu dis m’aimer, alors pourquoi agis-tu comme une petite fille gâtée? Non, ne me réponds pas, c’est trop tard. Comment veux-tu que je te rende heureuse quand je ne te comprends pas? Non, ne réponds pas non plus à cette seconde question ni aux autres, mon cœur. Pourquoi es-tu si capricieuse, mon ange? Pourquoi ce comportement enfantin? Si tu savais comme je trouve tes gamineries irritantes! J’ai les nerfs en boule. Je souffre et je pleure trop souvent à cause de toi pour continuer à te voir. Ne cherche pas à me rejoindre. J’ai quitté mon emploi et mon logement avant de te dire adieu.
Je suis malheureux mon cœur.
V.
La femme libre
Comme elle peut être assommante la femme qui veut être libre à tout prix! Elle n’a qu’un soucis, la libération de la femme. Lorsqu’elle se trouve dans un groupe, elle cherche la controverse, ou tout au moins une discussion animée avec un peu tout le monde. Elle mène sa croisade d’une main ferme. En amour, elle prend l’initiative. La femme n’est-elle pas l’égale de l’homme? Il doit se soumettre ou tout au moins ne pas tenter d’avoir le dessus… las de toujours discuter d’égalité et de droits, l’homme se décide :
Ma bien-aimée,
Si tu savais comme tu as raison. La femme est un être supérieur. Depuis quelques années, elle occupe des postes de plus en plus importants dans la société, avec une intelligence étonnante. Je sais que je nuis à la brillante carrière que tu auras sans aucun doute et je me résigne à ne plus te fréquenter. Je ne veux pas être un boulet à tes jolies jambe, qui graviront bien des échelons, en peu d’années, si tu le désires vraiment. Je ne te mérite pas.
Mes meilleurs vœux de bonheur, ma grandement
P.
Voilà comment se font les ruptures, par les hommes, qui pensent trouver un jour la perle rare, qui ne sera ni une femme-enfant, ni paresseuse, ni jalouse, ni libre, ni dépensière et ni frigide.
Bonne chance!
(Le Petit Journal, « L’art de rompre », 4 janvier 1976)