Sur ma table de chevet

Zelda et Scott Fitzgerald, Kendall Taylor

Par un phénomène étrange que je ne m’explique pas, j’ai parfois l’impression que les livres qui se présentent à nous le font d’une façon qui apparait organisée. Un thème se présente dans une lecture. Puis sans qu’on l’ait vraiment cherché, on constate au livre suivant qu’un lien comme invisible existe entre les deux.

C’est un peu le sentiment que je ressens en ce moment, alors qu’après la lecture du livre de Titiou Lecoq dont j’ai parlé dans mon dernier billet, je me retrouve à terminer un livre apparemment sans rapport dans son sujet. Mais qui au final, ne pouvait faire autrement que de venir après. Comme pour souligner la pertinence du livre de Lecoq.

Et je parle ici d’un livre que j’ai acheté il y a de nombreuses années, et auquel j’ai dit sur un coup de tête, viens ici mon chanceux! Ton tour est arrivé!

Le livre en question? Celui de l’autrice Kendall Taylor, une universitaire américaine et historienne de la culture qui avec «Zelda et Scott Fitzgerald, Les années vingt jusqu’à la folie» (Éditions Autrement, 2012) s’est penché sur la biographie d’un monument de la littérature américaine, Scott Fitzgerald qu’on ne peut appréhender sans la présence de Zelda, son épouse et sa muse, née Zelda Sayre.

Et je l’avoue, l’image préconçue que j’avais de ce couple de légende, c’est celle-ci. Un couple tumultueux et capricieux ayant vécu les nuits mondaines américaines et européenne des années vingt. Pas les nôtres bien sûr mais plutôt celles d’il y a cent ans déjà. Un couple dont la vie a semblé être une fête perpétuelle dans laquelle se mêlaient alcool et soirées arrosées, bains de champagne et soirées festives sous des airs de Charleston et je jazz. Et pour Scott, en prime, le succès phénoménal de son œuvre qui en a fait rien de moins que la voix de sa génération.

Mais voilà, à la lecture du livre, on le comprend vite. Tout ça, c’est l’image. Parce que derrière, il y eux le calvaire de Zelda à qui Scott a littéralement volé des passages de son journal intime et de ses écrits pour les intégrer à ses romans. Parce que et oui, Zelda voulait elle-aussi écrire. Et oui aussi, elle avait probablement plus de talent que Scott. Mais, craignant que son épouse lui fasse de l’ombre, Fitzgerald s’est acharné de façon choquante à lui barrer la route. Et pas que dans le domaine de la littérature mais bel et bien dans toutes les tentatives de Zelda d’avoir quelques reconnaissances artistiques que ce soit.

Rêvant d’être ballerine, il s’est notamment moqué de sa volonté de devenir danseuse étoile, sous prétexte que selon lui, elle ne pouvait qu’être une amatrice dans le domaine. De même pour la peinture. Mais aussi pour son souhait de devenir actrice alors que de grands studios d’Hollywood la voulaient pourtant.

Zelda a terminé sa vie internée, aux prises à des problèmes de santé mentale dus à une dépression accompagnée de troubles obsessionnels compulsifs. Le dernier médecin à l’avoir soignée a estimé, trop tard, que Zelda avait probablement souffert de trouble bipolaire jamais soignés. En plus d’émettre l’opinion que ses dépressions à répétitions auraient été le résultat du harcèlement moral que lui a infligé pendant des années son mari. Et là encore, Scott lui a catégoriquement interdit d’écrire là-dessus – ses épisodes dépressifs – sous prétexte que le sujet… lui appartenait à lui. Bref! Un connard de la pire espèce qui sans Zelda et c’est la tragique vérité, n’aurait jamais été l’auteur qu’il a été.

Alors, au-delà de la simple biographie sur des personnages d’une autre époque, «Zelda et Scott Fitzgerald, Les années vingt jusqu’à la folie» c’est surtout l’exposition choquante de cette société qui s’acharne, aujourd’hui comme hier, à reléguer les femmes à des rôles secondaires, quand ce n’est pas tout juste celui de potiche. D’ailleurs un passage en particulier m’a heurtée de plein fouet. Celui, au début du livre, dans lequel un ami de Fitzgerald, Nathan, donne sa vision du rôle des femmes et de leur place dans le monde….

«J’ai connu bien des femmes dans ma vie, écrivit-il, et je n’en ai jamais vu une seule qui, dans le secret de son joli coeur, ne désirât pas jouer, au-delà des rôles graves de ce monde, celui d’un joujou charmant et désirable… Chaque fois qu’une femme achète une robe, ou arbore un chapeau neuf, elle songe à ce qu’elle est: un bibelot. Pourquoi les actrices nous séduisent-elles plus que les femmes que nous côtoyons dans notre vie privée? Parce que tout contribue à leur donner l’air d’un bibelot

«Zelda et Scott Fitzgerald, Les années vingt jusqu’à la folie», page 131

C’est dans ce monde-là, cette vision dans laquelle Zelda, avec toute la fougue et la volonté de s’accomplir dont elle débordait, ne pouvait se briser les ailes.

Mais le plus choquant je trouve, c’est que cette histoire dépeint d’une façon ahurissante par quels phénomènes tout dans la société a pu contribuer à certains moments de l’histoire (parce que ce n’est pas exclusif aux années vingt) à faire en sorte que la voix des femmes soit éteinte. Lorsque publiée sous le nom de Scott par exemple, une nouvelle pourtant écrite par Zelda fut payée infiniment plus. Comme si la même chose écrite par un homme ou par une femme n’avait par définition pas la même valeur ou la même crédibilité. À ce compte-là, définitivement on comprend que les femmes soient condamnées à avoir infiniment moins de chance d’être reconnues.

Et comme si la symbolique devait rejoindre la violence du réel, après avoir vu sa voix éteinte de son vivant, le destin a voulu que Zelda meure, à tout juste 47 ans, dans l’incendie qui a ravagé l’hôpital psychiatrique Highland d’Asheville en Caroline du Nord où elle était internée de façon fragmentée depuis 1936…. Ça ne s’invente pas !

Bref! Une lecture lourde malgré ses airs de légèreté. Et qui nous reste clairement longtemps en tête!

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