De la banalité d’un quotidien qui se répand sur le plancher
Je ne sais pas pourquoi mais j’ai parfois cette impression qu’il y a des périodes – des semaines, des mois – au cours desquels partout ou l’on tourne les yeux, c’est le même message qui semble nous être renvoyé sans fin.
Un peu comme une intention concertée de l’univers de nous confronter à un élément sur lequel autrement, nous détournerions le regard.
Aussi, ces temps-ci, je m’avoue consternée devant ce fait que partout où je pose les yeux, ce sont des histoires de violence conjugale qui semblent m’être renvoyées de façon presque mathématique.
Par exemple, en début de semaine, dans le cadre de mon travail, je visionnais un film français, «L’emprise» (produit par TF1) sur une histoire tirée d’un fait vécu. Celle d’une mère de quatre enfants qui en 2012, s’est retrouvée dans le box des accusés des Assises de Douai en France pour avoir tué son mari, un homme qui l’avait battue et torturée pendant…. 14 ans !
Cette semaine encore, j’ai commencé à écouter, par intérêt personnel parce qu’on ne cesse de me dire que la série est excellente, cette nouvelle production en sept épisodes de HBO «Big Little Lies» qui met en vedettes les fabuleuses (fabuleuses, ici elles le sont incontestablement) actrices Reese Witherspoon, Nicole Kidman, Shailene Woodley et Laura Dern. Une série qui raconte l’histoire de trois mères qui élèvent leurs enfants dans une banlieue paisible et qui se retrouvent du jour au lendemain au coeur d’une affaire de meurtre. Ici, il faut bien le dire, le meurtre semble lui même assez anecdotique tant, rendue au cinquième épisode de sept, on ne sait toujours pas qui a été tué, qui a tué, dans quelles circonstances. Mais, ce qui est d’autant plus intéressant que troublant, c’est qu’au fil des épisodes, on découvre que les mères en question, en apparence si parfaites, sont en fait victimes de violence d’une façon ou d’une autre.
L’une d’elles, Céleste (Nicole Kidman) ancienne avocate ayant délaissé sa carrière pour s’occuper de ses jumeaux, se retrouve un moment donné en thérapie pour tenter d’améliorer ses relations avec le père de ses enfants. D’abord sous le prétexte que leurs relations sont explosives et que leur sexualité se trouve mêlée de violence, on découvre rapidement que Céleste est en fait victime de violence conjugale, que son mari la bat. Mais que d’une façon un peu inexplicable, elle continue de le défendre sous prétexte qu’elle n’est pas une victime, qu’elle contribue elle-aussi, d’une certaine façon, à cette violence qui rend leur relation si toxique.
Dut-elle pour cela cacher ses bleus sous du fond de teint.
Même confrontée à la psychologue qui dans une scène tente de lui faire admettre qu’elle est victime de violence conjugale, Céleste (Nicole Kidman est absolument renversante) s’évertue à nier être victime. Préférant voir dans ces excès de violence injustifiés ce qui selon elle, est la preuve de leur relation trop passionnée… Et surtout, se montrant convaincue que toute cette violence n’a absolument aucun impact sur leurs enfants.
Et puis, comme dans une règle de trois un peu surréaliste, on racontait hier aux infos l’histoire de cette toute jeune femme de tout juste 18 ans qui en banlieue de Montréal, a été assassinée en début de semaine par un ex-petit-ami violent. La jeune femme avait eu beau fait appel à la police, raconter aux quatre policiers qui s’étaient présenté sur son lieu de travail qu’elle craignait pour sa sécurité en se rendant seule récupérer ses effets personnels chez son ex-conjoint, ceux-ci avaient refusé tout net de l’y escorter. Avec pour résultat que deux heures plus tard, la jeune femme avait été assassinée, la «banalité» de la violence conjugale semblant une fois de plus s’être répandue sur le sol d’un plancher de cuisine…. Comme dans une scène mille fois vue et dont on ne s’émeut plus.
Aussi, ce qui me trouble profondément dans toutes ces histoires qui ces jours-ci s’entremêlent dans mon esprit, je me demande si ce n’est pas justement cette inertie avec laquelle on traite toujours, encore aujourd’hui, ces histoires de violence conjugale. Un peu comme si d’office, on ne prenait pas suffisamment au sérieux les appels à l’aide de femmes craignant pour leur sécurité. Qu’on sous estimait le danger. Ou pire, un peu comme si au fond, la société en général en était tout simplement venue à voir dans ces «hoquets» du quotidiens rien de plus que la banalité crasse sur laquelle on ne se donne même plus la peine de poser le regard…
Mais pire! Je me demande si le plus tragique dans tout cela, ce n’est pas ce fait qu’à la base, la femme elle-même est bien souvent incapable d’admettre que toute cette violence soit inexcusable, injustifiable. Et qu’elles n’en sont d’aucune façon responsables.
Le «cas» de l’histoire de cette jeune femme de 18 ans ? On en parlera aux infos pendant quelques jours. Le journaliste se demandera si la police aurait pu faire plus. Les voisins viendront dire que jamais ils ne se sont doutés de rien. Une autre jeune femme dira qu’elle craignait depuis longtemps pour son amie. Les parents du gars seront dévastés, n’ayant jamais imaginés que leur fils puisse aller si loin…
Et puis quoi ?
Plus rien.
Comme dans un scénario écrit depuis longtemps.
Au final, je me demande si je ne suis tout juste pas assez objective moi-même face à ces histoires. Chacune d’elles, chaque fois qu’on me les raconte, que j’en lis le détail dans les journaux, ou que j’assiste à l’une de ses versions dans une série télé ou dans un film, ramenant cette petite fille que j’ai moi-même été il y a bien longtemps. Celle qui allait au lit le soir en se demandant comment, la prochaine fois que son père dépasserait les bornes, elle pourrait intervenir.
Pendant longtemps je me suis demandée comment ma mère pouvait «se laisser faire» et accepter cela, à mes yeux de petite fille, presque sans broncher….
Ce qui trouble infiniment la femme que je suis devenue, c’est de réaliser aujourd’hui, quarante ans plus tard, que ces histoires là arrivent encore. Qu’encore aujourd’hui, dans bien des cas, des femmes restent dans ces situations toxiques et dangereuses sous le faux prétexte de préserver les enfants d’une séparation. Ces mêmes enfants qui toute leur vie, se demanderont comment une mère qui ne parvient pas à se défendre elle-même pourrait bien espérer les défendre, eux…
Je n’ai pas de réponse bien sur… Car même si mon histoire à moi s’est terminée autrement , il y a encore trop de ces histoires tragiques qui se terminent sur un drame.
Dans tous les cas, il n’y a clairement pas de gagnant. Et infiniment plus de perdants. Et cette évidence qui s’impose que personne n’est épargné.
N’empêche! Ça me donne envie de crier. Même si c’est en vain.