De l’impermanence des choses
Avez-vous déjà vu pousser les pivoines ?
Photo: PABvision.com |
De magnifiques fleurs vivaces qui chaque printemps, mettent plusieurs semaines à former un immense bouquet de feuillage d’un vert profond avant qu’un beau matin, on y découvre d’immenses fleurs lourdes et odorantes….
…qui immanquablement, seront détruites par la pluie et le vent !
Mais néanmoins, qui songerait à abandonner son plant de pivoines sous prétexte qu’il n’est destiné à fleurir que l’espace de quelques heures ?
Ainsi, il m’arrive de penser que tout est deuil dans la vie…
Deuil donc des pivoines que nous passons une année entière a attendre pour avoir ce plaisir un peu futile de les admirer une seule journée, avant que la pluie ou le vent – ou les deux à la fois ! – n’emporte tout. De nos souvenirs d’enfance qui nous façonnent et qui indubitablement, font de nous les êtres qu’en définitive, nous seront toute notre vie. Deuil des parents que nous aurions voulu avoir et de l’idée que nous nous faisions de notre vie, constamment obligés au fil des années d’en revoir les paradigmes parce que visiblement, la vie avec un grand «V» avait d’autres projets pour nous…
Deuil du temps qui passe et des épreuves qui nous marquent plus sûrement que le couteau de n’importe quel sculpteur…
C’est pourquoi je me suis plongée avec un certain recueillement dans le livre «L’année de la pensée magique» de l’auteure américaine Joan Didion. Parce dans ce tout petit livre de moins de 300 pages, la journaliste, essayiste et romancière, raconte sans complaisance l’année qui a suivi le décès, le 30 décembre 2003, de l’homme qui fut son mari pendant plus de quarante-ans, lui aussi écrivain. Une soirée «ordinaire» comme le sont probablement tous ces moments qui précèdent ces instants charnières ou la perte d’un être cher devient à nos yeux ce moment ou en une seconde, l’instant a changé…
«La vie change vite.
La vie change dans l’instant.
On s’apprête à dîner et la vie telle qu’on la connaît s’arrête.»
Le livre bien sur me replonge justement dans l’expérience de ce «moment ou tout s’arrête» lorsque j’ai moi-même reçu le diagnostique de Trisomie pour ma fille… Cette seconde précise que l’on pourrait décrire avec une précision chirurgicale… Et qui devient telle une frontière entre le «avant» et le «après»… Ce moment précis ou probablement tous ceux qui ont un jour vécu un deuil se reconnaitront. (J’en parlais tout juste ici)
Il y a sans doute mille façon de dire le deuil, de raconter la perte, la détresse, la solitude, la souffrance… C’est pourquoi le livre de Joan Didion est extrêmement touchant dans le mesure ou il arrive à faire ressentir tous ces petits détails de prime abord stupides et sans liens et qui pourtant, disent la perte… Et qu’on se met à voir en caractère gras au cours de l’année qui suit…
Le journaliste Patrick Lagacé dans un article qui m’a donné envie de lire ce livre en parle ainsi:
«Les survivants regardent en arrière et aperçoivent des présages, des messages qu’ils n’ont pas su voir. Ils se souviennent des arbres morts, des déjections de goéland sur le capot de la voiture. Ils vivent à travers les symboles. Ils trouvent une signification au filtrage du courrier indésirable sur l’ordinateur inutilisé, à la touche «supprimer» qui ne marche plus, ils s’imaginent que décider de la réparer serait une forme d’infidélité…»
En ce qui me concerne, inlassablement, je cherche un sens à tout cela. Avec l’espoir d’entrevoir, ne serait-ce qu’un instant, toute la grandeur du portrait global. Un peu comme pour ces pivoines qu’on passe une année à attendre, dans l’espoir d’en sentir le parfum….
Même un seul instant.
Même une seule seconde.