femmes,  Sur ma table de chevet

De Marie de l’Incarnation à Nelly Arcan, Se dire, se faire par l’écriture intime, Patricia Smart

Depuis un bon moment déjà, trônait dans ma pile de livres à lire ce petit bijou dont j’avais très clairement sous-estimé tout l’intérêt qu’il constituait: «De Marie de l’Incarnation à Nelly Arcan, Se dire, se faire par l’écriture intime» de l’auteure canadienne Patricia Smart, Professeur à l’Université de Carleton. Celle-ci abordant le sujet de l’écriture intime telle que pratiquée par les femmes à travers l’histoire québécoise, jusqu’à aujourd’hui, époque dans laquelle j’ai parfois l’impression que l’auto-fiction soit devenue reine du genre!

Et tout l’intérêt de ce livre, je dirai, réside justement dans ce fait que, d’une façon un peu unique, l’auteure aborde ici un sujet vraiment trop peu couvert en littérature, soit l’écriture des femmes sous la forme autobiographique, dans l’histoire québécoise. Et cela alors qu’aujourd’hui encore, en 2017, il semble que les femmes doivent décidément, encore et toujours, se faire à l’idée d’être minoritaires lorsqu’il est question de livres publiés au sens large. Ou pire, se taire carrément ! Comme c’est le cas ces jours-ci de ces quelques voix féminines fortes qui ici au Québec, décident rien de moins que d’abandonner leur tribune sur le web, épuisées devant le flot de commentaires violents et agressifs que beaucoup de femmes reçoivent de façon très violente lorsqu’elles osent s’exprimer publiquement. Une situation qui n’est malheureusement pas exclusive au Québec…

Mais revenons au livre, puisque c’est ce dont il est question ici!

Si à la base l’auteure souhaitait traiter de façon exclusive de la forme autobiographique en tant que tel, on découvre que dans les faits, Patricia Smart s’est rapidement trouvée confrontée au fait que pendant plus de trois siècles, soit de 1654 à 1965, aucune autobiographie d’aucune sorte, qui soit justement écrite par une femme, n’a été publiée au Québec. Soit l’une des découvertes les plus surprenantes auxquelles a été confrontée l’auteure. C’est donc dire que dans cet essai qui visait a retracer l’histoire de l’écriture féminine au «Je» féminin, force a été pour elle, constatant à quel point les femmes avaient pu être confinées au silence pendant longtemps, d’élargir sa recherche aux correspondances, lettres et journaux intimes qu’elle a pu retracer.

Car si Marie de L’Incarnation a pu laisser ses Mémoires, c’est bien à titre d’exception, et grâce à son statut de religieuse. Et qui plus est ! Ses écrits n’ont été publiés qu’après sa mort,  par son fils, un homme. La vérité étant que ces écrits ne l’avaient pas été dans le but d’être publiés (on parle bien de l’époque des débuts de la Nouvelle-France) mais bien à l’intention de son fils justement. Celui qu’elle avait abandonné à tout juste douze ans pour venir s’établir en Nouvelle-France, cette contrée violente et sauvage qu’on lui avait vendue comme étant la meilleure façon de vivre une vie de sacrifice.

Dire que j’ai été littéralement et d’un coup happée par ce livre serait vraiment un euphémisme tant j’ai rapidement accroché au propos. Celui-ci visant à dresser un genre de portrait de la manière qu’ont eu les femmes à travers les époques de se dire, de raconter le monde qui les entourait. Ou encore, de témoigner des événements historiques dans lesquels elles ont été témoins et actrices. Et cela, à travers lettres, correspondances,  journaux intimes, autobiographies. Ou plus récemment, à travers l’auto-fiction telle que pratiquée avec beaucoup de talent par la défunte Nelly Arcan.

Et, je l’avoue, ce que j’ai d’office trouvé saisissant c’est ce regard personnel aux femmes que celles que nous présente l’auteure portent sur leur époque. Dans un premier temps l’arrivée en Nouvelle-France par les Soeurs Marie de l’Incarnation (dans ses correspondances) et Marguerite Bourgeoys (dans ses Mémoires publiées en 1697).

«Je ne connaissais point le Canada, et quand j’entendais prononcer ce mot, je croyais qu’il n’était inventé que pour faire peur aux enfants.» (extrait des Correspondances de Marie de l’Incarnation à son fils, page 36 du livre)

Car, on l’oublie bien sur, mais l’aventure qu’a du constituer à l’époque cette entreprise de s’exiler en Nouvelle-France recelait sans aucun doute une large part d’inconnu pour les quelques courageux volontaires. Mais surtout, comme on le découvre dans la première partie du livre, dans ce sentiment pour les femmes de l’époque, surtout des religieuses, d’ainsi  vivre jusqu’au bout leur désir de s’anéantir en Dieu. Celles-ci ayant ainsi l’impression, de choisir ainsi ce qu’elles envisageaient alors comme une vie de privation et d’isolement au coeur de ces espaces immenses et terrifiants qu’était  alors l’Amérique à leurs yeux. Un peu comme un prolongement de la vie de cloître. Le Canada leur apparaissant sans doute alors comme étant rien de moins qu’un lieu «d’Holocauste» ou elles allaient très certainement finir mangées par des sauvages. Si ce n’est, littéralement mourir de froid et de faim.

Bien sur, je parle ici de la première partie du livre, celle qui traite des écrits jugés «pieux» de Marie de l’Incarnation dont le regard «littéraire» est entièrement porté vers Dieu et l’anéantissement de soi. Mais les trois autres parties du livres sont tout aussi fascinantes. Mais, à travers la deuxième partie, celle dans laquelle on découvre les correspondances de Élisabeth Bégon et de Julie Papineau une nouvelle affirmation de soi visant à se raconter à l’autre. Puis, dans la troisième partie, l’apparition d’une certaine forme d’intimité dans forme d’expression de soi dans des journaux «intimes» qui, leurs auteures en étaient très conscientes, seraient lus, par leur mère ou encore par les religieuses.

Ce ne sera que dans les années 1960 que les biographies en tant que telles feront vraiment leur apparition, comme on le voit avec celle écrite à l’époque par Claire Martin. Puis plus tard, le genre poussé à l’extrême avec l’auto-fiction telle que pratiquée par Nelly Arcan. Celle-ci ayant été jusqu’à l’anéantissement total d’elle même, d’une certaine façon.

Ce que, en ce qui me concerne, j’ai trouvé particulièrement fascinant dans ce livre, c’est justement ce regard «féminin» sur les grands événements de l’histoire québécoise. Un regard qui, encore aujourd’hui, est minoritaire dans la production littéraire. Chose que l’on constate de nouveau chaque année en regardant le palmarès des livres les plus vendus et qui tous, appartiennent toujours à des hommes.

Et, comme je le disais en début de billet, je suis un peu troublée de voir que plus de 400 ans plus tard, le discours des femmes est, d’une certaine façon, toujours un peu rabaissé. Les idées des femmes étant encore aujourd’hui trop souvent ramenées à leur genre. Des hystériques, des féministes qui forcément, ne sont que des frustrées qui détestent les hommes….

À la veille de souligner la journée de la femme, le 8 mars prochain, ce livre me semble vraiment un incontournable pour quiconque cherche un regard plus féminin sur l’histoire. Autrement que dans ces sujets dits plus féminins et liés à la maternité ou encore, à la famille…

«De Marie de l’Incarnation à Nelly Arcan, Se dire, se faire par l’écriture intime», Patricia Smart, Boréal, 2014

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