Ensemble mais seuls
Il m’arrive de me dire que dans notre monde d’aujourd’hui, nous sommes de plus en plus isolés les uns des autres. Et, je l’avoue, cette conviction s’est vue renforcée lorsque je suis tombée hier sur un article fascinant publié dans The Atlantic.
Un texte qui racontait justement que dans toute l’histoire moderne, il semblerait bien difficile de trouver société plus isolée du hasard des contacts avec les inconnus que celle des milléniaux d’aujourd’hui.
Cela même si pour ma part, je l’avoue, je serais bien tentée de penser qu’il s’agit là d’un fait pas mal généralisé à notre époque, et non pas qu’à une génération particulière.
Aussi, je me dis parfois que lorsque j’étais au collège (un entre-deux entre le secondaire et l’Université, qu’on appelle ici au Québec le Cegep), quelques part à la fin des années quatre-vingts, les choses semblaient beaucoup plus simples qu’aujourd’hui.
Si simples en fait qu’un jour par exemple, en me rendant à mes cours, j’ai commencé à parler à quelqu’un, pour la plus banale des raisons qui soit. Tout juste parce qu’on avait pris le même bus sur Henri-Bourassa dans le Nord de la ville. Puis que nous étions descendus tous les deux au même coin de rue pour attendre un autre bus. Celui-ci devant nous conduire tous les deux et par le plus grand des hasards au même Cégep.
Et – ça ne s’invente pas! – de fil en aiguille, on s’est rendu compte que nous étions nés le même jour, la même année. Que nous étions inscrits au même programme au même Cégep.
Si ce souvenir me revient tout à coup à l’esprit, alors que Louis a été rien de plus qu’un ami que j’ai côtoyé une toute courte période de ma vie de cégepienne, avant de le perdre complètement de vue, c’est que je réalise que ce genre de rencontre improbable, ça ne serait tout simplement plus possible aujourd’hui.
Pourquoi?
Pour une raison bien simple en fait. Soit que tous autant que nous sommes, je le réalise maintenant, nous ne nous regardons plus. Chacun ayant les yeux interminablement scotchés à son téléphone portable. Chacun étant il me semble aussi, un peu prisonnier de son petit monde linéaire qui est le siens…
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Si cette anecdote me revient en tête maintenant, c’est aussi et surtout parce que ces jours-ci, je regarde mon fils âgé de maintenant treize ans qui en est à ses premiers pas au secondaire.
Une grosse étape pour lui comme pour moi, vous l’aurez compris.
Mais une étape surtout qui fait réaliser à la mère que je suis combien les modes de socialisation ont pu changer considérablement depuis que j’étais moi-même adolescente, puis jeune adulte par la suite. Quelque part au cours des années quatre-vingts…
Aussi, en regardant aller mon fils qui peine à se faire des amis, qui angoisse littéralement à l’idée de rencontrer des nouvelles personnes et qui voit le fait de parler au téléphone comme un stress majeur, je me questionne.
Et je l’avoue, je suis troublée!
Parce que, en même temps que les ados de maintenant baignent dans le numérique avec l’aisance d’un poisson dans l’eau, la vérité c’est qu’ils semblent complètement démunis lorsque vient le temps de socialiser.
Pour de vrai et entre quatre yeux.
À peine entrés au secondaire, plutôt que de s’exciter des nouveaux amis qu’ils vont rencontrer, ils n’ont qu’une obsession. Celle de se brancher à leurs téléphones la récréation venue. Et dans le meilleur des cas, de jouer avec les amis. Mais en réseau. Surtout pas face à face.
Surtout ne pas s’ennuyer. Toujours être distrait.
Et ne nous leurrons pas! Je parle ici des ados mais cette difficulté de communiquer, de parler de tout et de rien, je me dis parfois qu’elle semble particulièrement généralisée. Et je me demande si ce ne serait pas là la cause d’un autre mal, un peu comme un effet particulièrement sous-estimé. Soit tous ces débordements d’intolérance et de discours limite haineux auxquels nous sommes de plus en plus confrontés, dans le virtuel tout autant que dans le réel.
En fait, j’en viens carrément à me demander si avec toute cette technologie supposée nous simplifier la vie et nous connecter sur le monde, nous n’avons pas plutôt perdu le plus important. Soit cette capacité d’aller vers l’autre.
De parler de tout et de rien.
De s’émerveiller des beaux hasards des rencontres improbables…
Pour l’heure, je n’ai pas de réponse ! Mais je me questionne.
Sommes-nous tous devenus des asociaux chroniques?