
Hier encore, j’avais 20 ans

En décembre dernier, je vous racontais cette histoire de Peter Emshwiller, un écrivain, acteur et réalisateur de 56 ans qui, il y a une quarantaine d’années, quelques part dans les années 70, a eu cette idée un peu surprenante de se filmer lui-même en train de poser des questions…à l’homme qu’il deviendrait.
Profitant de l’occasion pour mettre également sur bobine les réponses qu’il imaginait que pourrait lui faire son «futur- moi» un jour.
D’où cette idée ici d’écrire cette lettre à la jeune femme de 20 ans que j’ai été. Il y a bien longtemps, à ce qu’il me semble…
Un exercice qui, je l’ai constaté, demande énormément de compassion envers la personne que l’on a été…
Et qui redonne foi en l’avenir !
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Chère Marie,
Tu ne le sais pas encore mais malgré ce que tu peux imaginer en ce moment, tu ne contrôleras absolument rien de ta vie.
Oh ! Bien sur, dans les grandes lignes, tu atteindras la plupart de tes buts! Mais pas de la façon dont tu l’imagines aujourd’hui.
Parce que tu ne le sais pas encore, mais, comme tu le découvriras bien assez tôt, la vie a infiniment plus d’imagination que tu n’en auras jamais toi même ! Aussi, tu es peut-être bien mieux d’élargir ton esprit dès maintenant !
Aujourd’hui, tu as 20 ans. Tu viens tout juste de quitter ton premier amoureux sérieux. Celui qui, après votre première rupture, t’a suivie à Montréal pour te récupérer. Tu soupçonne qu’il t’ait été infidèle avec la voisine mais tu n’en as pas la certitude. Et au fond, tu t’en fout un peu parce qu’en réalité, ce doute n’a été qu’un prétexte pour toi pour aller voir ailleurs si tu y es. Et je peux bien de le dire maintenant ! De sa supposée infidélité, tu ne sauras jamais ce qu’il en a été. Pas plus d’ailleurs dans dix que dans vingts ans. Et étonnamment, tu seras un peu mystifiée, un jour au début de la quarantaine, lorsque cet homme te retrouvera pour te dire qu’il ne t’a pas oubliée. Et, un peu comme un clown sortant de sa boîte à surprises, te souhaiter bon anniversaire.
Visiblement, votre histoire aura été infiniment plus significative pour lui que pour toi.
Bref ! Toute le monde le sait ! Vous tous, jeunes gens, vous imaginez toujours que vous, vous l’avez l’affaire ! Ainsi, alors qu’à tout juste 20 ans tu viens de quitter ton premier amoureux, tu t’imagines, toi aussi pleine de certitudes, qu’à 25 ans, c’est certain, tu seras mariée et tu auras des enfants. Mais tu verras que les choses seront beaucoup plus longues à se réaliser pour toi. Parce qu’au fond, d’une relation sans histoire, tu ne te satisferais jamais ! Et, comme tu l’as probablement toujours su, il aura besoin d’être gentil, attentionné et indulgent celui qui parviendra à faire battre ton cœur plus que deux secondes et quart ! C’est pourquoi, pendant qu’autour de toi, tu auras l’impression que toutes tes relations, vraiment toutes, sont en couples elles, toi tu seras celle qui semble ne s’accrocher à rien, ni personne.
Un électron libre diraient certains !
Et ne va pas croire que ce sera faute de prétendants au titre !
N’empêche ! Profites de ces années ! Jamais plus tu n’auras aussi peu de responsabilités de ta vie ! Aussi, je te dirais bien d’en profiter à plein ! Même si je ne sais trop bien que tu n’en feras rien. Ni voyage dans les pays lointains auxquels tu rêve pourtant. Ni même la folie assumée de t’envoler six mois pour Paris pour travailler dans un café et vivre de l’air du temps… Une période dont tu te serais pourtant très bien accommodée. Ne serait-ce que pour t’entourer de cette aura de mystère qui entoure les esprits que l’on dit libres.
Ah! Si seulement tu avais osé! Si tu savais nos regrets aujourd’hui !
N’empêche ! Il te faudra attendre le début de la trentaine pour rencontrer celui avec qui tu pourras t’imaginer avoir des enfants. Non pas un homme comme celui de qui tu tomberas enceinte autour de 22 ans. Par accident (un événement que tu t’empressera de «corriger») Mais plutôt un homme en qui tu auras la certitude de trouver un bon père pour tes enfants. Rien de moins que le parfait opposé du tiens. Mais cela aussi, j’en suis certaine, ce n’est pas une surprise pour toi! Car tu n’es pas de celles qui s’accommodent du hasard lorsqu’il est question de sentiments.
N’empêche ! Avec ton mari (parce que oui, tu te marieras), vous aurez deux enfants. Un garçon. Et une fille, morte-née cette dernière. Car à presque cinq mois de grossesse, tu recevras comme un coup de tonnerre le diagnostique d’importants problèmes de santé pour ta petite fille. Et au moment ou tu seras justement confrontée à la maladie de ta propre mère, atteinte de Parkinson, tu te sentiras écrasée du poids de toutes ces responsabilités que tu auras le sentiment de ne pouvoir affronter. Au risque de te noyer toi-même. Toujours, tu te demanderas si tu n’as pas été lâche. Si tu n’as pas été égoïste. Si tu n’aurais pas du garder cette petite fille qui risquait – tu en auras la certitude pesante – de tout te prendre de ce si fragile équilibre que tu croiras avoir atteint.
N’empêche! Tu découvriras avec le temps que c’est probablement cette toute petite comète passée trop rapidement dans ton univers qui t’auras le plus transformée de toute ta vie de femme. Rien de moins qu’un véritable Big Bang ! Parce qu’après elle, tu ne seras plus jamais la même. Tu auras conscience, un peu comme une révélation divine, de ta finitude. Et tu ne pourras – et ne voudras – dès lors plus jamais te laisser mener par les événements.
Et c’est là que tu te mettras à écrire. Pour rien, sur tout, sur le banal. Comme sur ce qui t’apparaîtra alors comme vital. Des cris, des é-cris pour dire, décrire, réécrire, corriger l’histoire de ta famille.
Une histoire qu’il t’aura semblé avoir subit trop longtemps.
Et sur laquelle tu voudras désormais inscrire ta marque. Elle aussi indélébile. Une marée de mots qui te donneront l’impression par moment de couler un peu comme le fleuve impétueux dont rien ne semble pouvoir arrêter le déversement. Ou encore, un peu comme un cheval capricieux que personne ne peut espérer dompter.
Et ton plus grand souhait alors – vital celui-là – ce sera d’écrire.
Deux livres et puis mourir, te semblera-t-il.
L’un pour ton père que tu seras enfin parvenue à enterrer, presque 35 ans après sa mort. Et l’autre, sur cette lignée de femmes dont tu es issue. Des insoumises finies dans lesquelles tu auras alors envie de te reconnaître.
Hélas, moi la Marie d’aujourd’hui, je serais bien en peine de te dire si tu y parviendras ou pas à les écrire ces foutus bouquins qui t’empêcheront de dormir de nombreuses nuits!
C’est donc à nous deux que je ne peux que le souhaiter!
Aussi, je ne voudrais pas brûler de surprises ici! Mais, laisses moi juste te dire que ce jour ou tu parviendras enfin à faire la paix avec ton père, ce moment ou ultimement, tu poseras sur sa tombe cette pierre tombale, symbole de sa sortie du trou noir auquel il se pensait lui-même condamné, tu ressentiras un bonheur sans nom. Du genre que bien peu de choses peuvent espérer égaler dans une vie. Parce que pour la première fois, tu ressentiras ton pouvoir. Celui, comme dans une oeuvre littéraire composée à plusieurs mains, de modifier à toi seule le cours de l’histoire.
En un seul banal coup de crayon!
Enfin, même si dans la quarantaine, tu auras le sentiment d’avoir enfin atteint, après maints détours, ce que tu souhaitais professionnellement (ou à tout le moins, de t’y diriger), tu te demanderas parfois si en cherchant un bon père pour tes enfants, tu n’as pas oublié le plus important: la passion. Celle qui, dans un compagnon de vie, vous illumine de l’intérieur.
Mais, j’espère que tu me pardonneras, je n’ai malheureusement pas toutes les réponses.
Celle-ci moins que bien d’autres encore.
Mais la vie pour nous, c’est indéniable, ne s’arrêtera pas à quarante ans n’est-ce pas?
Aussi, pouvons nous croire en nous.
Et nous laisser surprendre par la suite.

2 commentaires
Yasmine
Oh Marie !!!
Que c’est émouvant !!!!
Que c’est beau !!!!
Et tellement proche de ma propre vie, moi qui me rapproche de cette fameuse quarantaine tant « redoutée » par beaucoup mais qui semble te voir, toi, épanouie 🙂
Mille bisous mon amie 🙂
Marie
Bonjour Yasmine ! C’est fascinant de réaliser à quel point cet exercice de s’écrire à soi-même est révélateur ! Ça implique de se réconcilier avec nos actions passées, avec les choix que l’on imagine avoir été peut-être mieux s’ils avaient été autres. Et aussi incroyable que ça puisse sembler, ça redonne vraiment foi en l’avenir. En lâchant tout simplement prise sur ce qui au bout du compte, sera certainement parfait comme ça 😉 Merci de tes encouragements !!
Marie