Interrogations filiales
La semaine dernière, comme je l’ai raconté dans l’un de mes récents billets, j’ai eu le bonheur de vivre une des expériences les plus étranges et surprenantes qu’il m’ait été donné de vivre dans ma vie. Mettre la main sur la montre de mon arrière-grand-mère, Lucienne, un peu comme si elle m’avait fait un clin-d’œil d’outre-tombe.
Toutefois, en partageant cela avec la famille, j’ai été forcée de me rendre à l’évidence que pour d’autres, le moment de la réconciliation n’était définitivement pas encore venu. Et qu’à la limite, mon intérêt pour cette aïeule auréolée de souffre pouvait sembler choquant – voire irrespectueux – pour certains… Fut-elle morte il y a presque soixante-dix ans maintenant.
Aussi, une multitude de questions ne cessent de tourner en boucle dans ma tête depuis.
Jusqu’où doit-on fidélité et loyauté à sa famille ?
Pendant combien de générations devrait-on se taire et porter la croix de ceux qui nous ont précédés?
À partir de quel moment de l’histoire familiale peut-on considérer qu’on a le droit de choisir le sens qu’on a envie de donner à ce qui est aussi notre histoire.
À quel moment quitte-t’ont son rôle de personnage secondaire – ou pire, de figurant – pour devenir le personnage principal, ou même – pourquoi pas? – le héros de sa propre histoire?
Jusqu’à quand mettre sa marque sur l’histoire familiale est-il être considéré comme un sacrilège?
À partir de quel moment a-t ’on le droit d’envisager la réconciliation avec des pans peu glorieux – autrefois même honteux – de son histoire familiale sans pour autant être jugé coupable de quelques trahisons?
Et enfin, à partir de quand cesse-t’ont de se mettre littéralement à risque «d’excommunication familiale» pure et simple pour le seul crime d’avoir osé nommer par son prénom cette arrière-grand-mère. Une aïeule qui au fil du temps, me donne le sentiment d’avoir perdu sa dimension humaine pour devenir rien de moins que le symbole d’un quelconque monstre du Loch Ness à échelle humaine. Un être à qui on s’acharne toujours à refuser le bénéfice des erreurs humaines presque soixante-dix ans après sa mort. Et que l’on restreint à une étiquette unidimensionnelle.
Car puisqu’elle a abandonné ses enfants en 1929, c’est forcément une sorcière n’est-ce pas ?
Qui suis-je pour tant m’accrocher aux nuances comme dans les fleurs d’un tapis?
Qu’ais-je tant besoin de montrer autant d’empathie pour cette femme d’hier, fut-elle de mon sang?
Son cas n’a-t-il pas déjà été réglé depuis presque cent ans déjà?
Déclarée coupable à perpétuité?
La vérité telle que je la perçois aujourd’hui c’est qu’en 2020, une femme ayant abandonné ses enfants il y a presque cent ans est encore aujourd’hui considérée coupable de crime contre l’humanité. Son mari (mon arrière-grand-père) a beau lui avoir fui pour s’installer en Alberta après leur séparation – sans lui non plus se soucier des enfants – à lui on ne reprochera jamais rien. Pas plus hier qu’aujourd’hui.
Mais ça, c’est un détail anecdotique semble-t-il. Inutile de le mentionner.
Alors en attendant de trouver les réponses à ces trop nombreuses questions qui tournent en boucles en moi comme dans un carrousel fou, je continuerai de garder tout cela en moi.
Comme si je devais en avoir honte.
Mais qu’on ne s’y trompe pas !
Je les trouverai ces réponses.
Quitte, en bousculant un peu l’ordre établi, à devenir un peu moi-même sorcière…