L'Homme nu,  roman

La ou les âmes tourmentées reposent

Photo: IStock

Lorsque j’étais petite, il y avait dans ma région (et elle existe toujours !), une forêt que l’on disait enchantée.

Et bien que je sois devenue adulte, ce lieu n’a jamais cessé d’exercer une certaine fascination sur moi. C’est pourquoi je me suis promis qu’elle occuperait une place de choix… dans ce livre que je suis actuellement en train d’écrire sur mon père.

Le lien vous demandez vous ?

C’est que cette forêt n’a pas d’enchanté que le nom. Car elle est en fait constituée presque exclusivement de cèdres – du thuya occidental en fait – une variété qui habituellement, pousse de façon aussi droite qu’un I majuscule. Mais ici, un phénomène aussi étrange qu’inexpliqué à fait en sorte que ces arbres se retrouvent bizarrement tordus. Un peu comme s’ils avaient souffert de quelque étrange façon…

J’ai bien sûr voulu aller sur Internet afin de chercher plus d’information, étant donné que je souhaitais depuis longtemps donner à cette forêt un rôle dans mon livre. Et j’ai été vraiment surprise de constater qu’on en parlait peu en fait… Jusqu’à ce que je tombe sur un livre traitant des lieux mystiques et étranges du Québec. Et dans lequel, bien sûr, une place avait été faite à cette forêt qui serait en fait âgée de quelques 1130 années, d’origine naturelle et dont j’ai tellement entendu parler dans mon enfance. Et dans ce livre, on explique notamment que chez les arbres comme chez les humains, les années de jeunesse impriment des tendances plus ou moins marquées qui peuvent influencer la vie entière. Ou parfois, se corriger avec le temps… Et dans un cas comme dans l’autre, cette évolution est bien souvent conditionnée par l’environnement…

Certaines légendes racontent que la forme étrange prise par les troncs de ces arbres serait la manifestation de la douleur et des injustices vécues par les Amérindiens alors que victimes inégales des batailles avec les nouveaux arrivants européens, ces Indiens furent enterrés un peu partout et n’importe comment au pays, sans soucis des conséquences. Chaque cèdre serait ainsi devenu l’habitat d’une âme indienne reposant, inquiète, dans cette colonnade désordonnée de nœuds, de torsions et de torsades, image de la douleur, des souffrances et de la misère ressentis par les victimes indiennes…

Une autre version de la légende veut quant à elle que les gens de l’endroit (il y a évidemment fort longtemps!) aient pris l’habitude de débiter les arbres morts pour en faire des feux. Un jour, l’un d’entre eux eu cette idée plutôt terrible d’utiliser le plus bel arbre de la forêt afin d’en faire le plus beau feu de toute l’histoire. Bien que le clan le lui ait vivement déconseillé, il parvint à les convaincre et finit ainsi par être autorisé dans son entreprise. Au moment d’abattre l’arbre, il entendit cependant une voix venue de l’au-delà – le Grand Manitou ? – lui dire « Ne touche pas à cet arbre, il est garant du bonheur. » Avertissement dont il ne tint pas compte, pour son plus grand malheur car l’arbre tomba directement sur lui et il mourut d’un coup.

Et comble de malheur, le Grand Manitou décida alors d’enfermer dans les arbres de la forêt, au fur et à mesure qu’ils allaient mourir, l’âme de ceux qui avaient approuvé l’idée d’abattre l’arbre. La forêt enchantée étant ainsi devenue un rappel du respect qui lui est dû.

Mais plus réalistement, ces arbres auraient, selon ce qu’on en dit, tout simplement été soumis à des vents changeants mais néanmoins constants, et ce, pendant d’assez longues périodes. La proximité du lac ayant pu les soumettre à l’action du vent qui aurait ainsi eu le loisir de donner aux jeunes pousses des inclinaisons que leur croissance n’aurait pas réussi à modifier…

De dire que cette forêt m’a toujours immensément fascinée serait assurément un euphémisme ! Et depuis longtemps, je mijote l’idée de lui donner un rôle dans mon livre, tel un clin-d’œil au fait que ma grand-mère paternelle, comme je l’ai découvert il y a un dans ou deux, était elle aussi algonquine…

Source: Lieux de légendes et de mystère du Québec , Henri Dorion, Éditions de l’Homme (2009)

8 commentaires

  • Anonymous

    Bien intéressante ta chronique ce matin. Je croyais pas cette forêt enchanté était aussi fascinante. Il faudrait que tu m'apporte la voir .

  • Anonymous

    Bon matin Marie,

    J'ai déjà hâte d'aller me promener – mais sur la pointe des pieds – pour ne pas déranger les âmes de ta forêt lorsque je lirai ton livre.

    Quel bagage génétique tu as en toi : une grand-mère algonquine ? Nous avons une ressemblance du côté de nos grands-mères paternelles ; la mienne était espagnole. Dans la famille on disait que notre grand-père avait ramené et épousé une ''étrangère'' venue de l'autre côté…

    Je ne connaissais pas les arbres qu'abritent ta forêt. Merci de nous avoir partagé tes connaissances.

    Bonne journée,

    Marjo

    • MARIE

      Bon matin à toi aussi Marjo ! Et oui, je savais que ma grand-mère avait des origines algonquines mais j'ignorais jusque là qu'elle l'était entièrement ! Ce qui fait que je pourrais aller chercher mes papiers d'indiens ! Peux tu croire ??? Une cousine l'a effectivement fait ! Comme quoi, ma famille, comme c'est le cas de bien des familles, est sans aucun doute un immense patchwork d'influences des plus hétéroclites ! Comme pour ta grand-mère espagnole, je trouve fascinant de faire ces découvertes sur nos familles et de voir comment ces «étrangères» ont été «accueillies» à l'époque. Pour ma part, je soupçonne qu'en épousant un blanc, elle a du devoir renoncer à son statut d'Indiens (c'était souvent le cas avant que la loi change) mais je n'ai pas encore fait de recherches en ce sens. Toutefois, j'avoue que mes recherches commencent à me faire peur un peu ! Qui sait ce que je trouverai encore ???

      Une bonne journée à toi 🙂

      Marie

  • Étoile

    C'est fascinant de découvrir avec toi cette forêt. Samedi soir dernier ,j'assistais à un hommage rendu à un grand homme qui a fait énormément pour notre région. Un homme humble et à l'écoute des gens. Il a fait beaucoup pour la foresterie et le reboisement. Il y avait comme invité un anthropologue Serge Bouchard. Quel plaisir de l'entendre nous raconter l'histoire de nos ancêtres et de notre village.Dommage que notre histoire ne nous soit pas racontée.On ne sait pas d'où on vient.Il y avait des adolescents et des adultes qui pleuraient dans la salle. Il me semble qu'il y aurait là une ouverture à se découvrir en tant que peuple. J'aime beaucoup lire sur ton histoire. Je t'encourage chère Marie à continuer dans la confiance. Merci pour tes billets et passe une très bonne journée.

    • MARIE

      Merci à toi Étoile pour les bons mots ! Je remarque aussi que lorsque je parle de ces sujets qui du premier regard, me donnent à penser qu'ils susciteront le moins de réactions, paradoxalement c'est tout le contraire qui se produit. Je crois qu'il y a un réel engouement pour le fait de plonger dans notre histoire mais c'est juste qu'on ne le dit pas assez. Il suffit de voir la prolifération des sites dédiés à la généalogie pour constater que le sujet est vraiment «à la mode». Est-ce parce que dans notre société ou tout devient de plus en plus «fractionné», nous avons plus que jamais besoin d'ancrage ? Je le pense sincèrement !

      Une bonne journée à toi !

      Marie

  • Jean Marie Desbois

    Merci pour ce bel article, Marie. Ces lieux de l'enfance sont tous magiques pour les humains que nous sommes et la forêt que vous décrivez semble vraiment extraordinaire. L'idée d'en faire un personnage central de votre livre est excellente. Je vous souhaite beaucoup de succès dans votre entreprise.

    • MARIE

      Merci ! Je crois qu'il est important de garder vivante la mémoire et la connaissance de nos origines et de ces lieux chargés d'histoire. Question de ne pas les oublier !

      Une bonne journée à vous et merci de votre passage !

      Marie

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