La tempête parfaite
On nous aurait dit il y a quelques mois de cela que dans le temps de le dire, nous passerions d’une époque caractérisée par les libertés pas mal généralisées à son plus total opposé et, je l’avoue, je n’y aurais pas cru.
Je vous laisse imaginer la chose, un peu comme si je vous présentais le résumé d’un film catastrophe…
Ce qui pourrait aller un peu comme suit.
Un monde digne de la plus pure science-fiction dans lequel une pandémie vient frapper la planète, partout quasi en même temps. Un monde ou la peur de l’autre devient la norme. Un monde dans lequel le télé travail devient brusquement la règle dans certains milieux. Un monde encore, où en l’espace de quelques jours, une vague de dénonciations jamais vue jusque-là, si ce n’est pour la comparer à une certaine variation des anciennes chasses aux sorcières de jadis, semble en train d’emporter tout sur son passage.
#MeToo version 2020.
Une vague dans laquelle, surtout, on ne semble plus faire de distinction entre ce qui relève des comportements répréhensibles de ceux qui constituent de véritables agressions sexuelles. Car il en va de même pour le virus que pour les relations humaines. L’ennemi est partout tout autant qu’invisible. Tant pis pour la nuance!
Car tenez-vous le pour dit! C’est bon ou mauvais.
Et au pilori les zones grises!
Peu importe que ces événements se soient produits il y a vingt ans ou il y a cinq minutes, tous dans le même sac. Et l’idée n’est pas ici de banaliser les agressions sexuelles, loin de là. Parce qu’on le sait, une agression ne devient pas moins grave avec le temps. Et souvent, il faut longtemps pour s’en délivrer. Mais plutôt de constater qu’on ne voit pas de distinction entre un dérapage après une bière dans un bar entre deux personnes un peu éméchées (on a pas le contexte alors on imagine!) et une véritable agression qui s’en trouve forcément un peu dénaturée.
Et le courage, désormais, on l’attribue à ceux qui y vont de dénonciations anonymes. Non pas sur la place publique, mais à travers les médias sociaux tels Instagram ou Facebook. Et à ce tribunal populaire «virtuel» donc, la tâche de brûler sur la place publique le «coupable du jour». Sans preuve, sans mise en contexte, et surtout, sans qu’il soit nécessaire de vérifier quoi que ce soit.
Parce que, dans ce monde-là, il suffit de la plus minuscule et invérifiée des allégations d’inconduite pour que le «fautif» se voit d’un coup tout perdre: travail, contrat, réputation. Peu importe que ces allégations soient vraies, en partie, ou pas du tout. Comme une immense claque au visage, instantanée et parfois un peu démesurée (c’est le risque collatéral des dénonciations anonymes et non vérifiées) en regard ce qu’on aura qualifié de faute…
Depuis quelques jours, chaque fois que j’ose jeter un œil sur les médias sociaux, sur Twitter notamment, j’ai l’impression d’être emportée dans une mer de boue. Les #ProMasques par exemple qui jettent des torrents de violence à ceux qu’ils identifient comme étant #AntiMasques. Et vice et versa dans un débat hyper polarisé ou chacun semble déterminé à camper sur sa position. Car ici aussi, pas de demi-mesure. Soit tu es égoïste. Soit tu te masque par amour de ton prochain.
Aucune autre alternative possible. Comme au Moyen-âge!
Le bon ou le mauvais.
Dieu ou le démon.
Il faut choisir son camp.
Aujourd’hui, c’est blanc ou noir. Mais peut-être faut-il ici aussi se méfier des expressions trop connues, n’est-ce pas? Au risque d’être accusé de racisme! Parce que l’évidence, c’est qu’il ne faut plus parler des êtres en terme de couleurs. Ni même en termes de genre. Nous ne sommes plus un homme ou une femme. Nous ne sommes plus de telle ou telle culture, de telle ou telle autre origine.
Et plus encore! Il ne faut surtout prendre aucun risque d’offenser, même sans le savoir, qui que ce soit! Comme ce glacier haut de gamme Dannois qui, craignant d’indisposer les habitants autochtones de l’Arctique, a décidé purement et simplement de «débaptiser» ses esquimaux glacés…
Je l’avoue, j’aurais lu cette histoire dans un roman et je me serais dit que le romancier avait décidément beaucoup d’imagination. La même histoire dans un journal, on se dit «Ah, vous savez, c’est l’époque qui veut ça!»
Aujourd’hui, la différence c’est le pire des scénarios. Le plus grand fantasme? Être tous pareils. Ne jamais faire d’erreur. Être parfaits en tous points. Ne surtout pas avoir dans son sac des dérapages de conduites commis il y a des décennies qu’on aurait autrefois attribués à la jeunesse et qui aujourd’hui peuvent vous couler plus vite que ne l’a été le Titanic. Des êtres indéfinis qui semblent destinés à finir agglutinés et aspirés dans une mer de boue. Elle aussi informe et, qu’on se le dise, parfois puante.
Ainsi, j’en viens à me dire qu’on est passé non pas à ce qu’on pourrait qualifier de scénario de sciences fiction. Mais plutôt du réel au surréalisme.
Et à travers ce qui me semble présenter toutes les caractéristiques de la fin du monde, parfois l’envie de rire (jaune?) en tombant sur une nouvelle qui m’amène à me demander si je ne me trouve pas, non pas dans la vie réelle, mais dans un scénario de cauchemar. Et que, définitivement, le scénariste finira bien par se réveiller. Et qu’il criera alors d’un coup «Coupez! C’est n’importe quoi! On refait tout de zéro!»
Parce que le revirement, je l’attends désespérément moi!
Alors scénariste! Tu t’en vas où avec tes skis ?