Le Roman Vrai d’Alexandre Jardin
«Le roman vrai» d’Alexandre Jardin, voilà un bout de temps que je voulais parler de ce livre qui, même sa lecture terminée depuis un bout de temps, continue de me trotter dans la tête. Non pas parce qu’on parle ici d’un grand livre, mais plutôt parce que la réflexion qu’il suscite me laisse clairement perplexe.
«Ce livre est l’histoire de mes mensonges. Sans doute est-ce le plus risqué que j’écrirai jamais. Il m’est vital. Jusqu’où suis-je allé dans l’aveu ? Je n’ai pris aucun ménagement. Un jour, il faut bien déchirer le voile, rompre avec le comédien et coïncider avec soi.»
Voilà, résumée de façon bien succincte, l’idée de départ de ce livre. Soit ce postulat affiché d’entrée de jeu par Alexandre Jardin de revenir sur tous ces livres qu’il a écrit depuis le début de sa carrière d’écrivain. Cela pour affirmer haut et fort «Voilà, je vous ai menti! Tout ce que j’ai écrit jusque là était de la fiction! Tout! Absolument tout était faux.» Rien de moins que trois décennies de frime destinée à une horde de lecteurs qui en redemandaient pourtant.
Son principal argument pour «enbouquiner» (*) ce déballage de vérité? Voilà, il ne pouvait plus écrire de «littérature de fuite du réel». Rien que ça !
Personnellement, la question qui me taraude pourtant c’est bien celle-ci. Depuis quand est-il devenu répréhensible pour un auteur de trafiquer un peu la réalité ? Quel mal y a-t-il à user d’imagination pour un écrivain, je vous le demande !
D’ailleurs, qu’on pose la question à n’importe quel écrivain et je vous parie qu’il ou elle nous répondra qu’une partie de lui ou d’elle se retrouve dans ses personnages livresques. Parce que, un peu inévitablement je pense, on ne peut écrire que sur ce que l’on connaît, au moins un peu du moins. Et le reste, et bien on l’imagine n’est-ce pas ? On le fantasme. On le crée.
En l’écrivant ici, je réalise que c’est probablement un peu cela qui me laisse avec ce sentiment de déception depuis que j’ai refermé la dernière page de ce livre de Jardin. Parce que si ses premiers livres (Fanfan et cie) me semblaient d’un fleur bleue avoisinant la mièvrerie, j’avais été véritablement prise d’une certaine estime pour cet auteur qui, dans ce que j’appellerais sa deuxième phase, avait entrepris de déboulonner la mythologie familiale. À travers la vérité de son grand-père, acteur de la raffle du Vel d’Hiv notamment («Des gens très bien»).
À la lecture de cet affiché «Roman vrai», mon malaise s’est accru. S’amplifiant lorsque l’auteur s’en prend clairement à ses deux premières épouses qu’il dépeint d’une façon qui m’est apparue comme frôlant la mauvaise foi et le ressentiment. Parce que, qu’on ne l’oublie pas! Celles-ci lui ont pourtant donné des enfants. Néanmoins, aucun bons mots pour ces mères de ces enfants, celles avec qui il a pourtant à une époque jugé bon de partager sa vie, au moins un temps.
Sa principale récrimination envers elles, individuellement et collectivement? N’avoir pas su l’aimer vraiment, de n’avoir pas accueilli sa détresse, de ne l’avoir pas encouragé et soutenu à devenir papillon. Si on l’en croit, rien de moins que des monstres d’égoïsme dont l’une d’elles ne lui laissait, entre autres, même pas une place dans sa penderie.
Et la déception elle est toute entière là je pense. Dans ce qui au final semble s’apparenter beaucoup plus à un règlement de compte qu’à une volonté réelle de vérité face à soi-même. Un peu comme dans les mauvaises ruptures dont les détails suscitent bien plus le malaise que la sympathie. À travers ce bouquin, j’ai en effet eu le sentiment plutôt malaisant de me retrouver devant un petit garçon un peu capricieux qui reprocherait la cause de tous ses malheurs à la terre entière, sans jamais se remettre lui-même en question.
Non mais sérieusement! Demander à sa conjointe d’être sa sauveuse et d’être le moteur de sa transformation en papillon, n’est-ce pas un peu lourd dans un couple ?
Au final, je le dis ici, ce que j’attends précisément de la littérature ça se résume en peu de mots. La fuite du réel justement, la réinvention de celui-ci. Parce que par définition, un écrivain, ça joue avec les mots, avec la réalité, avec les perceptions. Un peu comme un magicien des mots qui donne à voir ce que la banalité de la réalité ne nous avait pas permis de percevoir autrement.
Sinon ? Et bien tant pis ! Je me tape un documentaire!
Alors? J’ai aimé ou pas ?
L’un et l’autre. Parce que je me dis qu’un jour, on découvrira que cette fois encore, il nous a mené en bateau. Et qu’alors, je pourrai de nouveau admirer sa capacité de jouer avec ses histoires. Mais je dis ça, je ne dis rien! Ça n’engage que moi.
Et vous ? Vous l’avez lu? Qu’en avez-vous pensé ?
Je suis curieuse de découvrir vos impressions!
(*) Enbouquiner: mot de mon invention. Parce que voilà, je l’avoue, j’aime ça moi inventer des mots 😉 Se dit ici de cet art de mettre en bouquin une idée de départ qu’on aurait aisément pu exposer en dix mots mais dont on a plutôt choisi de faire 250 pages. On appelle cela le luxe de l’écrivain! Voilà! Vous savez tout maintenant !