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Les mots des autres…Mary MacLane et le bonheur

Ce qui me fascine avec les livres, c’est cet itinéraire indescriptible et un peu mystérieux qui semble se dessiner au fil de nos lectures. Un livre semblant nous conduire vers le le suivant. Un peu comme un programme littéraire qui nous serait personnellement destiné…

Alors que je suis plongée ces temps-ci dans «Les constellées» de l’auteur Daniel Grenier qui propose rien de moins que de parcourir le monde littéraire féminin depuis des siècles (je vous en reparle très bientôt), j’ai découvert par la même occasion celle qui m’apparaît un peu comme un météorite, Mary Maclane. Une auteure canadienne très peu connue vers l’oeuvre de qui j’ai eu envie de faire un détour.

Je partage ici ce que je considère comme l’un des plus beaux passages de son livre (Que le diable m’emporte, publié en 1902).

Elle avait tout juste dix- neuf ans.

D’elle je vous reparle dans mon prochain billet.

***

«Le monde se compose principalement de néant. Vous pourriez bien parvenir à cette certitude, par un jour de vent glacial qui aura balayé vos illusions.

Qu’est-ce que le vent?

Néant.

Qu’est-ce que le ciel?

Néant.

Que savons-nous?

Néant.

Qu’est-ce que la gloire?

Néant.

Qu’est-ce que mon cœur?

Néant.

Qu’est-ce que mon âme?

Néant.

Que sommes-nous?

Néant.

Nous sommes convaincus d’avoir accomplis des progrès merveilleux en arts et en sciences au cours des siècles. Quelle est la valeur de tout cela? Ça ne nous apprend pas le pourquoi de toute chose. Ça ne nous empêche pas de nous poser les éternelles questions: que faisons-nous? Ou allons-nous? Ça ne nous apprend pas pourquoi les prairies anciennes, si anciennes, reverdissent à chaque printemps; pourquoi les douces collines de Gilead dan les Hautes Terres luisent doucement après la pluie; pourquoi la poitrine du rouge-gorge ne manque jamais de se couvrir de rouge, et la corneille de noir, le roitelet de gris; pourquoi nous sommes entourés de sable stérile; pourquoi les nuages flottent au-dessus de nous; pourquoi la lune rejoint le ciel, chaque nuit, sans exception; pourquoi les montagnes et les vallées survivent aux années qui passent.

Les arts et les sciences continuent, sans cesse – mais cela ne nous empêche pas de nous poser toutes ces questions. Nos larmes ne se sont toujours pas taries. Nous continuons à souffrir en 1902, comme nos ancêtres ont souffert en 1802 et en 802.

De nos jours, nous mangeons nos bons dîners avec des fourchettes.

Il y a mille ans, les fourchettes n’existaient pas.

Et pourtant, malgré nos fourchettes, nous n’avons pas trouvé le bonheur. Nous poussons des cris, nous donnons des coups de pied, nous battons, nous pleurons, tout comme nos ancêtres le faisaient, il y a mille ans – à l’époque ou les fourchettes n’existaient pas. (…)

Et, au milieu de toutes ces énigmes, nous nous demandons pourquoi certains d’entre nous ont le don de croire sans poser de questions, pendant que les autres se torturent en interrogations.»

(- Mary MacLane, «Que le diable m’emporte» 1902)

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