Les ombres la nuit
5h30 un dimanche matin..
Ce moment ou sur ma ville, tous dorment encore.
Et moi, seule parmi les ombres, les miennes, ces fantômes d’idées que j’entrevois sans parvenir encore à en saisir parfaitement les contours…
Un peu comme des âmes perdues cherchant leur chemin. Légèrement hagardes et toujours endormies.
En lisant mon journal, un peu plus tôt, mon esprit s’est mis à vagabonder. Une toute petite phrase, perdue au cœur d’un article sans rapport, amenant avec elle l’émergence de l’ombre d’une idée. Une brève apparition qui, j’en ai la conviction, occupera les prochaines heures mon « temps de cerveau disponible »…
Avec ce fugace sentiment d’avoir manqué quelque chose d’important..
Dans un fragment d’article, une auteure qui raconte qu’ « il est important de dire aux jeunes femmes, en 2015, de ne pas avoir peur de s’afficher et se revendiquer comme féministes. » Et qui poursuit en affirmant qu’aujourd’hui, la féminité, c’est la liberté. Celle « d’assumer ses mots, ses gestes, ses sentiments, même démesurés ou jugés trop émotifs par la société; ceux qui préfèrent voir les femmes entrer dans les rangs. »
Et puis?
Un autre article dans lequel une jeune femme raconte combien son choix de demeurer à la maison pendant neuf ans, mettant ainsi en veilleuse sa carrière pour élever ses enfants, lui a compliqué la vie au moment d’une séparation houleuse. Alors que Monsieur s’est enrichi à ses dépends, pendant qu’elle peine à trouver un travail… Incapable « bien sur » de justifier ce « trou » de neuf ans dans son cv face à des employeurs pour qui être mère à temps plein, c’est un peu comme ne rien faire…
Et voilà que, « surfant » sur le mot « rang », je repense à ma mère. En même temps qu’à ma grand-mère ainsi qu’à mon arrière-grand-mère, Jeanne et Lucienne . À leurs combats que d’aucuns pourraient juger avoir été perdus d’avance, dans les extrêmes de ce qu’elles ont eu envie d’être en tant que femmes.
Sans être convaincues le moins du monde que la société de l’époque le leur permettrait…
Lucienne, d’abord, qui en 1928, après en avoir déjà eu deux, a décidé qu’elle ne voulait pas d’enfants… Arrière-grand-mère à qui la société n’allait pas pardonner de sitôt cet abandon. Et de ses enfants. Et de ce rôle auquel la société de l’époque la destinait. Un carcan auquel Lucienne a préféré faire un pied de nez en venant vivre dans le Red Light de Montréal…
Puis, Jeanne qui comme je le conçois aujourd’hui, comme à rebours, n’a pas su trouver sa place. Écartelée entre ce désir étouffant de ne pas ressembler à sa mère. Et son incapacité d’être une mère à l’image de l’idée que la société se faisait alors – au cœur des années cinquante et soixante – de la maternité. Et plus tard, ses relations amoureuses fragmentaires avec d’autres femmes… Un peu comme un jardin secret qu’elle aurait finalement choisi d’imposer par la force. Comme dans ces tranchées dans lesquelles on s’engouffre. Pour survivre. Parce que sans modèle et sans repères. Et ne sachant tout simplement pas comment exister autrement dans ce regard aussi étouffant que celui d’un corset trop ajusté.
Et qui ne nous permet plus de respirer…
Puis ma mère qui, mariée trois fois, n’a jamais cesser de croire qu’elle le trouverait son prince charmant. Celui qui lui éviterait d’avoir à choisir qui elle voulait être. Préférant laisser à d’autres le soin de décider pour elle…
Et puis moi bien sur! Celle qui maintenant, cherche mes propres réponses. Comment exister? Comment être la femme que j’ai envie d’être? Comment parvenir à dire dans mes écrits ce qui, sans doute, en bousculera peut-être certains dans mon entourage? Comment être mère et femme, sans sacrifier l’une ou l’autre?
Les mêmes sempiternelles questions que d’une génération à l’autre, nous nous posons toutes. Chacune tentant du mieux qu’elle le peut d’y répondre.
Ces derniers jours me sont revenues à l’esprit ces années ou, me prenant pour une Van Gogh au féminin, je peignais. Cette jeune vingtaine pendant laquelle alors qu’armée de mes pinceaux, j’étalais la peinture sur des toiles. J’avais l’impression alors de disparaître des radars pendant une heure ou deux. Oubliant ainsi pendant un bref instant et les questions, et les réponses. Avec cette impression que je parvenais ainsi, sans trop y réfléchir, à remplir de couleurs criardes et agressives ces vestes étendues blanches dans lesquelles j’aurais pu me noyer.
Ou pire ! M’y désintégrer.
Mais voilà le jour qui se lève. Et avec lui, ces ombres de réflexions qui s’évanouissent.
Mais demeureront encore un instant, ces idées fragmentaires que j’ai l’impression d’avoir touché du bout des doigts.
Sans parvenir tout à fait à en assembler les fils.
Ou un peu comme ces meubles IKEA qui nous laissent toujours dans les mains des morceaux qu’on l’on a pas su ou mettre…