L’histoire de l’amour et le pouvoir des livres
J’ai souvent évoqué ici le pouvoir des livres n’est-ce pas ? Ces livres qui parfois, nous aident à traverser des moments difficiles. Qui nous révèlent parfois plus de choses sur nous même que ce que nous aurions pu imaginer…
Mais qui aussi, inspirent…
Mais, à mon avis, on n’a jamais si bien évoqué ce pouvoir des livres dans nos vies que dans ce tout petit bijou signé Nicole Krauss, et intitulé tout banalement «L’histoire de l’amour» et sur lequel je suis tombée tout récemment. Une belle découverte vraiment ! Alors qu’un écrivain donne à son personnage principal le prénom de la femme aimée, qu’un amoureux offre à sa femme le livre qu’il aime, qu’une mère donne à sa fille le prénom d’une héroïne de livre…. Car bien que le titre puisse laisser présager une simple romance un peu fleur bleue il faut bien le dire, ce livre est en fait bien plus que cela ! Une histoire à trois voix mais surtout, l’aventure de vies entremêlées tout autant qu’une profonde réflexion sur le pouvoir de la littérature.
Leo Gursky est un vieillard. Et cela, c’est lui qui l’affirme d’entrée de jeu, alors qu’il attend plus ou moins la mort, seul dans cet appartement new-yorkais qu’il habite depuis qu’il a fui la shoah en Pologne. Retraité du métier de serrurier qu’il a appris lors de son arrivée en Amérique, il ne sort de son appartement que pour poser nu dans des ateliers de dessin qui lui rapportent tout au plus quelques dollars. Activité à laquelle il s’adonne néanmoins parce que comme il le dit «Tout ce que je veux, c’est ne pas mourir un jour où je n’aurai pas été vu.»…
Et puis, il y a Alma Singer, adolescente de 14 ans au prénom sorti tout droit d’un livre, «L’histoire de l’amour», roman offert par son père décédé à une mère traductrice. Lorsqu’un inconnu commande une traduction du livre en espagnol, la Alma de la vraie vie entreprend une enquête sur les traces de la «Alma» du livre. Et c’est ainsi qu’aux réflexions intérieures de l’un se superpose le journal intime de l’autre. Un peu comme si Léo et Alma se répondaient l’un l’autre, sans pourtant se connaître. Et dans cette histoire, ce sont tous les personnages qui écrivent et lisent, tout étant donc lié à ce pouvoir de l’écrit à travers lequel se fait la transmission, se forge l’identité et s’établit la vérité. Léo écrivant pour ressusciter la Pologne de sa jeunesse, son amour perdu et un fils qui a grandi sans lui. Alma écrivant son journal intime pour surmonter la mort de son père. Et finalement, Zvi Litvinoff, polonais également, exilé au Chili en 1941 et qui de son côté, écrit un livre pour ne pas oublier le passé.
«Par moments, je pensais que la dernière page de mon livre et la dernière page de ma vie étaient la même chose, que, lorsque mon livre serait terminé, ma vie le serait aussi, qu’un grand vent s’engouffrerait dans mon appartement et emporterait les pages, et que quand volerait plus dans l’air la moindre feuille de papier blanc, la pièce serait silencieuse, la chaise sur laquelle j’étais assis serait vide.» (L’Histoire de l’amour, page 24)
Vraiment ! Un bijou de livre sur l’écriture, la transmission, la solitude, l’exil, la famille, ainsi que sur les amours qui bien que perdues, sont néanmoins plus fortes que la perte (on reconnaît là mes thèmes de prédilection n’est-ce pas !). Trois solitaires unis à leur insu par le plus intime des liens : un livre, «L’Histoire de l’amour», dont ils vont devoir, chacun à sa façon, écrire la fin.