littérature,  Livre,  suggestion,  Sur ma table de chevet

Ma dévotion, Julia Kerninon

Voilà mon premier billet de cette nouvelle décennie que j’ai eu envie de commencer tout doucement, un livre à la main. Car ce marathon de lecture auquel je me suis adonnée en décembre, ça m’a définitivement inspiré cette envie de remettre la lecture au centre de mes habitudes. Au point d’en faire une résolution de nouvelle année!

Pourquoi pas?

Ce qui, qu’on se le dise, ne nuira certainement pas à la pile de livres qui s’amoncelle sur ma table de chevet au rythme d’un tsunami!

Mais, je dis ça, je ne dis rien hein !

N’empêche! Quel livre pour ce début de parcours que celui dont je vous parle aujourd’hui et que je viens d’ailleurs tout juste de terminer à l’instant. Soit «Ma dévotion» de l’auteure Julia Kerninon.

Et, en définitive, il y a parfois certains livres devant lesquels on se retrouve presque sans mots tant leur lecture nous donne l’impression d’une musique. Chaque mot résonnant comme un reflet de la perfection. Et c’est un peu là ce que j’ai ressenti tout au long de la lecture de ce merveilleux livre dont les lignes m’ont par moment semblé s’apparenter à de la dentelle tant c’est bien écrit.

Alors, ça raconte quoi ?

L’histoire d’ Helen et de Frank, d’abord, un «couple» d’artistes qu’un événement tragique a séparé et qui se retrouvent par hasard dans une rue de Londres vingt-trois ans plus tard. Et, vous aurez remarqué que j’ai mis le mot «couple» entre guillemets et ce n’est pas anodin. Parce que, tout au long du roman, on ne peut s’empêcher de se demander justement si cette vision d’un couple est bien réelle ou bien plutôt le fantasme d’Helen. Car cette relation, elle m’a justement semblé reposer sur un grand malentendu tant les attentes de l’un et de l’autre ne semblent pas les mêmes face à cette relation. Car la vérité, c’est qu’au fil de l’histoire, on se dit qu’Helen a accepté vraiment beaucoup de choses au fil des années pour que la dite-relation puisse subsister.

On découvre ainsi, à travers de ce qui est présenté comme le long monologue qu’Helen adresse à Frank, son regard à elle de leur rencontre à Rome dans les années cinquante alors que tous deux étaient encore adolescents; le départ à Amsterdam pour fuir leurs familles dysfonctionnelles sous prétexte d’aller étudier; ces années au cours desquelles Frank, après s’être cherché, devient d’une façon un peu inattendue un peintre au succès retentissant. Cela pendant qu’Ellen elle devient critique littéraire et d’édition, un peu dans l’ombre de Frank. Puis, la séparation au moment où elle se marie et quitte vivre quelques années à Boston avec son mari. Avant de tout quitter de nouveau, pour cette fois revenir vers Frank à qui par une force un peu mystique, elle demeure liée, envers et contre tout. Et cela, malgré les humiliations qu’elle subit lorsque de son côté, Frank qui ne semble pas avoir la même définition de leur relation, enchaîne les conquêtes…

Ce que j’ai trouvé particulièrement fascinant dans ce bouquin c’est d’abord ce questionnement qui me revenait constamment en tête, à savoir qui des deux s’avère le plus dépendant de l’autre finalement. Frank dont Helen aurait fait un artiste, grâce à ses moyens financiers et à son soutien constant? Ou Helen se croyant essentielle au succès de Frank? Les deux semblant définitivement liés dans une relation que j’ai eu peine à définir tant elle m’a semblé reposer, au-delà du lien fusionnel, sur un grand mensonge. Un mensonge s’apparentant, je dirais, à une certaine forme de déni de la part d’Helen, celle-ci visiblement déterminée à maintenir sa vision de leur relation, coûte que coûte. Car, comme le personnage d’Helen le dit si bien -et à mon sens, la clé de l’histoire est dans ces mots – «Nous mentons tous (…) dès lors que nous posons des mots sur notre expérience, nous choisissons une certaine vision des choses au détriment des autres possibles »

Ce que j’ai par ailleurs trouvé super fascinant dans cette histoire, c’est justement cette différence de point de vue qui fait en sorte qu’autant Frank semble y aller de façon un peu insouciante dans sa relation avec celle qu’il qualifie d’amie (parfois avec bénéfices), autant celle-ci semble se raconter un film. Notamment lorsque installée en Normandie, elle se laisse appeler Mme Appledore par une femme du village, au point d’y croire. J’ai donc eu l’impression que le personnage d’Helen s’était un peu fantasmé cette relation. En même temps que Frank se soit retrouvé, lui, avec un «contrat» dont il n’a visiblement pas lu les petits caractères.

Dans l’ensemble, au-delà du monde de l’art qui est ici dépeint avec finesse, j’ai trouvé dans ce roman une analyse tout aussi fine des grands malentendus sur lesquels reposent bien des couples sans qu’ils en soient conscients. Chacun ayant son point de vue unique, point de vue parfois en contradiction. D’où les déceptions qui ne peuvent que finir par éclater au grand jour. Parfois jusqu’au drame, comme c’est le cas ici.

«Et tu m’as tirée dans la pièce par le bras et c’est là que j’ai vu, pour la première fois, ton tableau. La peinture était encore fraîche, l’image pas tout à fait fixée, mais tout était là, les bleus et les ors, les rouges, les noirs profonds, et la précision, et l’ampleur devant laquelle je suis restée interdite cette fois-là comme toutes les autres où j’ai revu le tableau après. Il faudrait pouvoir dire ce que c’était, de pousser une porte de sa propre maison et de tomber sur une chose comme celle-là. Le tableau absorbait littéralement l’espace, on ne voyait que lui, nous étions devant le tableau  mais aussi dedans, avalés. Je pensais aux cerisiers en fleurs dans les giboulées d’avril, quand en quelques heures un arbre laisse tomber au sol un épais tapis rose, je me sentais comme un de ces cerisiers, les bras m’en tombaient, et tu étais à côté de moi, tu avais repris dans ta main une tasse de café froid et tu t’allumais une cigarette et me scrutais, pas tant pour connaître ma réaction que pour en jouir pleinement, parce que tu savais très bien ce que tu venais de faire. Tu étais parvenu à rendre le contenu de ta tête visible au monde. Tu avais enfin réussi à te faire entendre. Nous sommes restés toute la journée devant le tableau. Je savais que c’était la fin de quelque chose, et le début d’une autre. Je ne sais pas si toi tu le savais.» (Ma dévotion, Julia Kerninon, p.94)

Bref! «Ma dévotion», c’est définitivement mon premier coup de cœur de 2020. La marche est haute pour les suivants, j’en ai bien peur!

Et vous? Vous l’avez lu?

(Le livre a été reçu gracieusement des Éditions Annika Parance)

***

Vous aimez mes billets ? N’hésitez pas à les partager sur vos réseaux sociaux. Ma maison est grande, il y a de la place pour la visite !

Commentaires fermés sur Ma dévotion, Julia Kerninon
error

Enjoy this blog? Please spread the word :)

Follow by Email