famille,  L'Homme nu,  roman

…Mais tortueux par moments

L’histoire de ma famille paternelle m’a toujours semblé tellement sombre, que je pensais me protéger de cette noirceur en m’en tenant le plus éloignée possible.

Assurément, un drame sur lequel nous ne pouvions mettre le doigts, avait dû se produire pour justifier (ou expliquer ?) la présence d’êtres aussi torturés dans mon histoire…Mais comme dans toutes les histoires qui semblent inexpliquées, comment éviter de se faire des scénarios, eux même ne pouvant par ailleurs être confirmés ou infirmés…personne n’acceptant d’en parler, fut-ce sous la torture…

Ainsi, dans les faits, mes grands-parents, Florence et « Eugène » (tel qu’il avait lui-même choisi de se prénommer!) eurent quelques 13 enfants, dont plusieurs ne survécurent pas à l’enfance. Des jumelles qui moururent à 7 jours des suites d’une jaunisse, quelque part en 1943-1944. Puis une petite fille, morte elle à quelques mois d’une méningite.

Parmi les autres, ceux qui allaient survivre, il y eut 3 filles et 5 garçons, dont des jumeaux et bien sûr, mon père.

Tel que je le comprends aujourd’hui, le drame, celui qui je l’imagine allait structurer l’histoire de cette famille, concerna leur fils aîné Réo qui mourut à 14 ans de façon tragique. Ainsi, un après-midi entre Noël et le Jour de l’An 1939, le garçon était allé à la scierie avec son père et en montant sur une corde de bois afin de replacer les billots sur le dessus, certains morceaux de bois se déplacèrent, provoquant la chute du jeune garçon qui tomba directement sur le dos…dans la scie. Eugène qui tenta de le retenir se retrouva avec le cœur de son fils dans une main… Le père prit alors la couverture qui se trouvait sur son cheval, y installa les « morceaux » de Réo et le ramena à la maison ou il arriva après le coucher du soleil, physiquement épuisé et le cœur, comme celui de son fils, en lambeaux…

Comment arriver à saisir toute l’ampleur de la douleur qui s’est alors abattue sur ce couple ? Ils étaient arrivés dans leur village en 1936, en pleine crise qui allait conduire lentement mais surement à la deuxième guerre. Ils crevaient littéralement de faim et le frère de Florence, Abraham qui fondera plus tard la boulangerie du village et qui vivait avec eux, raconta à ma mère plusieurs années plus tard qu’à cette époque, il mangeait la moulée, à même le plat du chien… La misère dans ce qu’elle a de plus inhumaine !

Avec le recul, les souvenirs lui revenant en mémoire, ma mère m’a avoué que ses beaux-parents avaient sans doute sombré dans une profonde dépression qui devint pour eux comme une deuxième peau. Florence allaitait alors l’une de ses filles vit son lait se tarir et fut incapable d’assister aux funérailles. Et Eugène, devenu fou, se retrouva à l’hôpital ou on raconte qu’il se promenait presque nu… L’image du désespoir dans ce qu’il a de plus dramatique….

Mais l’humain étant doté d’une résistance qui peut sembler inimaginable devant les épreuves, la vie reprit son cours et ma grand-mère accoucha de mon père exactement un an plus tard, en décembre 1940. On peut sans doute imaginer l’atmosphère qui devait régner dans cette maison ou Réo devint ce modèle de perfection qui serait pour toujours inatteignable pour les autres. N’était-il pas à 14 ans bâti et fort comme un homme, avec une intelligence au-delà de la normale et quoi d’autre encore ? Ma grand-mère, je l’imagine, dut reporter en quelque sorte son attention sur mon père qui étrangement, est né en décembre 1940, car elle racontait qu’il était lui-même d’une intelligence peut commune à deux ans déjà et celui qui ressemblait le plus au disparu… Avec des conséquences pas nécessairement positives pour mon père notamment, qui tel que je l’ai connu, moi sa fille, lui ai trouvé un sens peu commun de l’autodestruction sa vie durant…

Mais aussi pour les autres, les frères et sœurs vivants, dont l’histoire de vie me semble avoir été marquée profondément par le poids d’une poisse aussi opaque qu’un nuage de fumée dans une maison en feu…

Bon je sais ! Ce que je vous raconte aujourd’hui n’est pas des plus joyeux ! Heureusement, il n’en fut pas toujours ainsi ! Mais je pense néanmoins qu’il est important que vous sachiez à quel point cette famille a pu connaître les périodes les plus sombres afin d’être en mesure de saisir tout l’incroyable de ce que j’ai découvert ces jours derniers…

2 commentaires

  • Charlotte

    C'est « drôle » des fois à quel point certaines vies peuvent se ressembler dans le tragique… c'est incroyable. Même ma grand-mère s'appelle Florence. Et son père à elle s'appelait Eugène… Puis pour ce qui est de la misère, ils ont eu leur lot, disons.

    Cette histoire est incroyablement triste Marie. Il faut beaucoup de résilience, de volonté et d'amour pour se sortir pas trop mal d'un destin qui t'aurais peut-être voulu autrement, au bout du compte. Un destin qui t'as amenée bien loin dans la souffrance toi aussi de ce que je comprends. Mais je pense que ce qu'on doit retenir, c'est comment on s'est sorti de ces souffrances. Et ce qu'elles nous ont appris. C'est ça l'important. xx

  • MARIE

    Ma chère Charlotte, Ce qu'on peut surtout retenir je pense c'est à quel point l'humain est fort ! Et que malgré tout, la vie est belle! Ça peut sembler paradoxal sans doute mais je le vois ainsi maintenant. Parce que les choses, même dans le drame, ont un sens. Et que tous, nous sommes une chaînes de maillons liés les uns aux autres… Quant on réalise ou que l'on découvre ce que nos parents et les autres avant eux ont pu vivre, ça explique qui nous sommes… Et ça permet étrangement de nous rendre plus indulgent, envers eux mais aussi envers nous-même ! Regarder en arrière je ne pense pas que ce soit régresser ! Mais peut-être tout simplement se donner le droit d'aller en avant par la suite 😉

    Marie xx

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