Pages féminines d’un autre temps… Le danger est partout mesdames! ou Comment résister aux hommes
Parce que ces perles sont à mes yeux un peu comme quelques clins-d’œil du passé.
Mais surtout, parce qu’à travers eux, j’ai comme l’impression de trouver des fragments de Lucienne, mon arrière-grand-mère qui a vécu dans ce Montréal-là. De 1929, l’année ou elle a tout quitté pour venir vivre dans le Montréal bruyant et festif. Jusqu’à sa mort, à la fin de 1953.
Une époque, ou semble-t-il, le danger était partout. Dès lors qu’on était une femme !
En feuilletant ces pages, j’ai alors le sentiment que je pourrais tout aussi bien croiser Lucienne au détour d’une page comme d’une rue.
Comme on croise une amie.
Un peu par hasard.
Mais après l’avoir espéré très fort.
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COMMENT RÉSISTER AUX HOMMES
– Pourquoi tu ne veux pas ?
– Parce que…bon!
Ah non, ce n’est vraiment pas la manière de résister à l’homme qui, la face congestionnée, les yeux ronds et le cou gonflé vous offre son cœur et les clefs de sa chambre.
Après avoir aguiché les hommes il faut savoir leur résister. Si vous, par chance ou par malchance, vous vous trouvez seule, Madame ou Mademoiselle, avec un loup gueule grande ouverte, il vous faut connaître comme la déclinaison rosa rosae les différentes façons de ne pas glisser dans la gueule du loup.
Évidemment, si vous voulez à tout prix ne pas vous faire croquer, il faut ne pas vous égarer en forêt. Je m’explique. Il y a de par le monde, de par la ville des endroits ou tout parle d’amour. Ex. : le parc Lafontaine, le Mont-Royal, les bois obscurs, les appartements de célibataires et les «tourist rooms». Si vous vous tenez loin de ces lieux isolés, si vous savez fuir la pénombre, il vous sera plus facile de vous défendre de votre agresseur à deux pattes et aux 110 mains. Si vous avez décidé de rompre avec un ami qui vous semble plus intéressé aux courbes qu’à la ligne droite ne lui donnez pas rendez-vous à une danse. La musique, le rythme de vos corps, tout concourra à affaiblir votre résistance. Si, au contraire, vous choisissez comme lieu de rupture un grand restaurant très fréquenté et très éclairé, il vous sera facile de dire «c’est fini» entre la poire et le fromage.
Si vous avez l’intention de résister aux tentations, fuyez les plages solitaires, les routes du Nord, les automobiles parquées, les escaliers borgnes, les ascenseurs automatiques, et tout endroit du même genre.
Je dois vous mettre en garde non seulement contre les localités dangereuses, mais aussi contre les meubles dangereux. Un Chesterfield moelleux peut être pour vous qui aviez l’intention de dire «non», un piège. Assis confortablement, on s’étend, on s’étire, on jase et puis on s’aperçoit qu’on est tout près, qu’il est difficile de repousser des tentacules qui se font de plus en plus enveloppantes. Quand on a décidé de résister on s’assoit sur de chaises droites et on discute.
Quant aux lits, ils sont tout à fait à déconseiller pour ce genre de conversation. Refusez d’entrer dans une pièce qui en contient un, si vraiment vous êtes de celles qui «ne veulent pas».
Il y a quelques années, la mode de s’asseoir sur le plancher a été lancée à Montréal. C’est gentil, bohème, et assez innocent…en apparence. Fuyez les planchers, autant que les lits. La seule différence entre les deux c’est que le plancher offre une surface plus grande ou tomber et qu’il est beaucoup moins confortable.
Mesdemoiselles et même Mesdames, ne croyez pas que de se tenir debout, aux garde-à-vous offre plus de sécurité. Que non! Une femme debout est une cible que l’on peut viser de tous les angles. Et puis, comment résister à un bipède qui court, halète et nous dépasse de toute une tête. Ah, debout est quasiment aussi dangereux pour la résistance qu’étendue. Que faire alors ?
La meilleure tactique de résistance c’est de vous asseoir sur une chaise droite sans bras et de vous y tenir droite. Tant que vous serez collées à cette chaise vous ne serez pas en danger immédiat.
Ou que vous soyez, évitez le vertical et l’horizontal, Fuyez les recoins, les murs, les fauteuils profonds et les Chesterfields. Si vraiment vous voulez résister à un homme, vous pouvez. La première condition, la seule véritable : c’est de vouloir vraiment résister.
(Le petit journal, 1er novembre 1953, page 64)