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Que le diable m’emporte, Mary Maclane

Le côté un peu surprenant de la lecture je trouve, c’est de voir ce chemin un peu mystérieux qui se trace au fil de nos lectures. Des auteurs que l’on n’aurait jamais découverts autrement mais qui se présentent à nous à travers les livres des autres. Un peu comme une grande fête où on s’amuse à mélanger les convives de tous horizons.

C’est un peu comme ça que j’ai fait la découverte de Mary MacLane, un météorite de la littérature des femmes longtemps oubliée. Et dont le livre principal, «Que le diable m’emporte» a été réédité récemment après avoir longtemps disparu des radars.

Et c’est justement d’elle dont j’ai envie de vous parler, en ce jour 7 de décembre, et de mon calendrier littéraire de l’Avent.

Née au Canada à la fin du 19ième siècle (le 1er mai 1881 à Winnipeg), Mary MacLane déménage rapidement au Montana aux États-Unis avec sa famille ou elle grandira dans la petite ville minière de Butte.

Comme beaucoup de femmes de son époque, elle est cantonnée à la maison dans un environnement ou il ne se passe dans les faits pas grand-chose.

En bref, ses journées, elle les passe ainsi aux tâches ménagères, aux promenades pour apprécier la nature, et, à l’écriture d’un journal intime. Et c’est justement de ce journal que sera constitué son livre «Que le diable m’emporte» qui sera publié en 1903 alors qu’elle a tout juste 19 ans. Un livre qui au moment de sa sortie fait scandale tout autant qu’il fascine. Tellement qu’il s’en vend quelque chose comme cent mille exemplaires le premier mois, ce qui peut sembler définitivement faramineux pour l’époque. D’autant plus pour un livre écrit par une femme. D’ailleurs, elle est rapidement considérée comme sauvage et incontrôlée. Et son livre est même banni de certaines librairies de Boston.

Ce que ça raconte ? En fait «Que le diable m’emporte» est une longue confession dans laquelle l’autrice commence d’entrée de jeu par dire au lecteur à quel point elle est géniale. «Je suis un génie, un génie à part entière» écrit-elle franchement.

«Moi, membre du genre féminin et âgée de dix-neuf ans, je m’apprête à dresser un portrait aussi franc et complet que possible de moi-même, Mary MacLane, qui n’a pas d’égal dans ce monde. J’en suis convaincue, je suis étrange. Depuis ma naissance, je me distingue par mon originalité et ce n’est pas fini. Je possède une intensité vitale totalement inhabituelle. J’ai le don de ressentir. J’ai une aptitude merveilleuse pour le malheur et pour le bonheur. J’ai une grande ouverture d’esprit. Je suis un génie

Elle y confie son ennui dans un quotidien qui encorsette les femmes, son sentiment de ne pas se reconnaître dans cette famille qui est pourtant la sienne et avec qui elle a le sentiment de n’avoir aucune affinité, ses aspirations à contre-courant de l’époque. Elle y partage aussi sa philosophie, ses fantasmes. Mais également son désir pour une autre femme. Elle y revendique sa féminité, son héritage celtique et son indépendance. Tout cela dans un genre qui franchement, nous attrape rapidement dans ses filets. C’est là une lecture vraiment indéfinissable. Tellement que j’ai eu le sentiment de me retrouver devant un livre qui, un peu étrangement, aurait très bien pu être écrit aujourd’hui. J’ai ainsi eu le sentiment de me retrouver dans l’autofiction avant que le terme n’existe.

«Je dois tout dire – absolument tout».

Et j’avoue que c’est là en partie ce que je trouve si fascinant chez elle. Le fait qu’à travers ce livre, MacLane nous amène à voir que malgré les idées préconçues que l’on pourrait avoir sur les femmes de l’époque, celles-ci nous ressemblaient peut-être beaucoup plus qu’on l’imagine. Avec des désirs et des envies que la société de de l’époque s’acharnait pourtant à bâillonner du plus contraignant des corsets.

Après avoir écrit deux autres livres qui passeront un peu inaperçus et joué un tout petit rôle au cinéma muet, Mary MacLane est retrouvée morte «de cause inconnue» dans une chambre d’hôtel à Chicago en août 1929 alors qu’elle est âgée de tout juste 48 ans. Elle tombe ensuite dans l’oubli le plus total, jusqu’à ce qu’il y ait réédition de son œuvre, des années plus tard, en 1993 (en anglais). Elle est redécouverte aujourd’hui pour la première fois en version française. Plus de cent ans après la première édition de son livre. Enfin!

Sincèrement, c’est là l’un de mes grands coups de cœur de cette année!

« Je ne suis pas une fille. Je suis une femme, une femme unique en mon genre. J’avais douze ans quand j’ai commencé à être une femme, enfin je dirais plutôt un génie. Alors, en général, on a le choix entre être une fille et être une héroïne – le genre d’héroïnes qu’on trouve dans les romans. Mais je ne suis pas une héroïne non plus ! Une héroïne est belle – ses yeux aussi bleus que la mer lancent des regards mystérieux par-dessous ses paupières baissées –, elle avance en ondulant, son sourire éclatant ensorcelle, elle tombe systématiquement amoureuse d’un homme – un homme, obligatoirement –, elle mange des choses (que les romans appellent toujours “des mets délicats”) avec un appétit d’oiseau, et dans les grandes occasions, sa voix se remplit de larmes. Moi, je ne me livre à aucune de ces activités. Je ne suis pas belle. Ma démarche n’est pas ondulante – d’ailleurs je n’ai jamais vu personne onduler, à part peut-être une vache suralimentée. Mon sourire éclatant n’ensorcelle personne. Mes yeux, qui n’ont rien de commun avec la mer, ne lancent aucun regard mystérieux. Je n’ai jamais mangé de «mets délicats» et j’ai un excellent coup de fourchette. Et pour finir, ma voix, à ma connaissance, ne s’est pas encore remplie de larmes.

Non, je ne suis pas une héroïne.»

(Mary MacLane, «Que le diable m’emporte»)

Si vous ne l’avez pas lu – le contraire m’étonnerait franchement – c’est définitvement une lecture à mettre sur votre liste.

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