Plus on est de folles

Retour sur l’investissement

Retour sur l'investissement
L’aire d’attente est déserte et froide. Je suis la seule âme qui vive ici, ce soir. Je sirote une boisson à peu près chaude et très sucrée. Ça disait «café» sur l’étiquette mais je doute fort de l’origine du sirop que la machine distributrice a distillé en vrombissant dans le gobelet de carton.

J’attends.

J’attends pendant les deux heures que ma fille, Miss Loulou, s’entraîne à faire roulades, rondades, grands écarts et renversements arrières.

Je ne me plains pas de mon sort, car mon chum, pendant ce temps, se tape les quatre heures d’attente nécessaires pour que mon plus vieux puisse parfaire ses effets spéciaux au ping-pong…. heu… au tennis de table, pardonnez-moi. D’ailleurs vous savez combien ça coute une raquette de tennis de table de niveau compétitif? Un prix que je n’oserais mentionner ici de peur d’effrayer toutes les mamans de futurs champions de cette discipline!

Mais qu’est-ce qu’on ne ferait pas pour nos enfants! Je sais de quoi je parle. Je suis la championne de l’investissement dans ma progéniture. À la bourse de croissance des enfants, je suis un courtier de première classe. Je dis oui à toutes les nouvelles activités. Mon agenda vibre au rythme des compétions, concours, cours, activités et découvertes. Mon chum, L’Homme, grogne et rechigne, mais il finit toujours par nous accompagner dans nos aventures.

Le dernier projet en lice est l’élevage des papillons monarques. Ben quoi??? La population des monarques en Amérique du Nord est en sérieux déclin et le projet fait partie d’une importante recherche sur la migration de ce lépidoptère. C’est pour la noble cause quoi!! Bref, en septembre prochain et ce, jusqu’au mois d’octobre, nous hébergerons une charmante famille de chenilles….. en liberté à l’intérieur de la maison. Bon, la documentation dit que les chenilles ne devraient pas quitter le plant sur lequel elles se nourrissent. Notez ici l’usage du conditionnel puisqu’au paragraphe suivant, on nous explique quoi faire si une de ces demoiselles fait sa chrysalide ailleurs que sur ledit végétal… ah bon… À que cela ne tienne! Je n’ai aucun problème à vivre avec une chrysalide suspendue au luminaire de salle à manger si ç’est pour initier mes cocos au cycle de vie des papillons.

Et ce n’est qu’une activité parmi tant d’autre. Elle devra se trouver une niche dans notre horaire entre la natation, le patin, le hockey cosom, les tournois d’échecs, les concours oratoires, l’herbier en développement, la collection d’insectes, les activités à caractères scientifiques, les sorties au théâtre, les spectacles de cirque, les sorties aux glissades d’eau, la pêche, le canot, le camping, les films, les activités portant sur l’histoire, l’astronomie, les restos de différents pays accompagné de recherche sur l’histoire et la culture locale, l’archéologie, la magie et les show rock…. au fait…. je viens de réaliser qu’ils ne font pas de musique et que les visites de musées manquent au programme. Il faudra y remédier.

Je fais des dépôts réguliers dans la culture générale de mes enfants. J’investis dans leurs connaissances et je m’assure que le capital de leur intérêt est préservé.

Mais je me demande tout de même jusqu’où ma capacité d’investir temps et argent pourra aller. Éduquer les enfants est une job à temps plein et ça adonne que j’en ai déjà une, de job à temps plein, et elle est assez prenante merci. Mon principal défi et de m’assurer que moi, mon chum et mes enfants, avons assez d’énergie pour mener à bien toutes nos aventures. Quand est-ce qu’il faut s’arrêter? Quel est le minimum de temps que maman a besoin pour se ressourcer? Quand les grognements de L’Homme seront-ils vraiment sérieux? Comment fait-on pour savoir que les enfants ne sont pas au bord de l’épuisement? Nous essayons constamment de déambuler sur cette fine ligne, tels des funambules, en équilibre entre «nous menons une vie super cool» et «trop c’est trop».

Contrairement à l’élevage des monarques, les enfants ça ne vient pas avec un mode d’emploi. Tout ce que je peux faire, c’est me fier à mon instinct et juger, au meilleur de ma connaissance de maman, ce qui est le mieux pour mes rejetons.

Ma boussole est les yeux de mes enfants. Je me dis que si les projets et activités allument cette petite lumière dans leurs prunelles; si leurs pupilles se dilatent d’excitation et si j’entends les mots magiques : «maman!!! dis oui! dis oui!» et bien, je ne peux pas me tromper. Ils sont mon baromètre et mon sextant… je les suivrais jusqu’au bout de leur découverte! Même si ça veut dire mettre ma vie en veilleuse, renoncer à ce merveilleux bain moussant, partager ma maison avec des créatures de toutes sortes et reporter à plus tard la lecture du roman qui ne peut même pas ramasser la poussière, faute de ne pas être encore acheté !

Je suis fière du petit pécule de connaissances que ma progéniture a amassé. Je suis comblée de voir leur capital de culture. Le retour sur mon investissement, c’est de voir qu’ils sont capables de localiser l’étoile polaire, qu’ils sont sportifs et en super forme, qu’ils connaissent la différence entre le drapeau du Japon et de la Corée, qu’ils peuvent allumer un feu de camp, qu’ils peuvent dire si la lune croit ou décroit, qu’ils se produisent devant public sans être intimidés, qu’ils connaissent le Mat du berger et surtout, comment le déjouer, qu’ils savent ce qu’est l’Eusthénoptéron mais, par-dessus tout, qu’ils sont allumés, sociables, curieux et cultivés.

J’ai beaucoup investi et je suis une femme d’une richesse infinie.

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