littérature,  Sur ma table de chevet

Sable mouvant, Henning Mankell

Il y a de ces livres dans lesquels il est, je pense, impossible de se jeter d’une traite. Et dont la lecture, loin d’être un combat que l’on s’inflige, est plutôt destinée à être savourée lentement.

C’est un peu ce qui s’est produit dès lors que j’ai mis la main, il y a quelques mois, sur ce dernier livre écrit par l’auteur Suédois Henning Mankell avant sa mort, celle-ci étant survenue l’automne dernier.

Et le mot «dernier» pour parler de ce livre est loin d’être banal puisque ici, on parle de rien de moins que du testament littéraire de celui qui, depuis l’hiver 2014, se savait condamné, après avoir reçu un diagnostique de cancer. Le diagnostique ? Une tumeur cancéreuse de 3 centimètres dans le poumon droit et une métastase dans la nuque…

«Sable mouvant» c’est donc ce livre qu’il commence alors à écrire, un peu comme une ultime réflexion sur ce qu’à été sa vie. Une vie d’homme, d’écrivain. Mais également d’un homme qui fut engagé au niveau environnemental au-delà de ce que je savais de l’auteur. Un auteur de qui je l’avoue, je ne connaissais rien d’autre que ce livre, «Les chaussures italiennes», lu il y a quelques années. J’en avais d’ailleurs parlé un peu ici.

«Cette nuit-là, je suis resté longtemps éveillé. J’éprouvais le besoin impérieux de prendre une décision. Tout à fait comme si le brusque départ du serveur, ce «maintenant ça suffit», cette sortie spectaculaire, était un défi qui s’adressait aussi à moi. J’étais dans cette période de la vie ou l’on dit que les enjeux, les risques aussi bien que les possibilités sont les plus élevés.

Il m’est apparu clairement qu’il me fallait une nouvelle fois décider à quoi j’allais consacrer ma vie. Cette courte vie bordée par deux éternités, deux grandes bouches d’ombre. Le temps alloué n’était plus aussi long qu’il avait pu l’être dix ans auparavant.

Cette nuit-là, dans la vieille cité celtique ou je suis resté éveillé jusqu’à l’aube, j’ai jeté mon plateau, j’ai arraché mon tablier et je suis sorti dans la nuit tiède.

J’ai pensé que les seules histoires véritablement importantes parlent de rupture. Qu’il s’agisse de personnes isolées ou de sociétés entières, que ce soit par la révolution ou les catastrophes naturelles. Écrire, décidai-je, c’était orienter ma lampe vers les recoins sombres et tenter d’éclairer de mon  mieux ce que d’autres s’efforçaient au contraire d’occulter. »

(Sable mouvant, Henning Mankell, page 180)

Bref, j’ai eu un immense coup de cœur pour ce livre dans lequel Mankell qui, au-delà du témoignage d’un homme qui se sait atteint d’un cancer incurable, s’avère être encore plus une réflexion sur ce que c’est d’être un humain. Sur la transmission, sur les générations qui défilent et qui toutes au final, ont cette responsabilité, chacune leur tour, de tenter de répondre aux questions laissées sans réponse par la génération précédente.

Mais aussi, une réflexion sur le sens de la vie à travers l’évocation des civilisations ayant vécu il y a des milliards d’années. Puis cette tentative d’imaginer ce que pourrait être la Suède dans quarante mille ans. Cela, à travers le prisme de ce que nos sociétés modernes sont en train de léguer: un climat inévitablement modifié par nos modes de consommation effrénés et par notre peu de soucis de la protection de l’environnement. L’auteur s’avérant être littéralement fasciné – et troublé! – par ce qu’il qualifie de troll maléfique, Onkalo. Une énorme cavité creusée dans la roche suédoise, sur la côte ouest du côté de la Finlande pour y enfouir les déchets des centrales nucléaires du pays…. Des déchets qui selon toutes vraisemblances, devront demeurer cachés quelques cent mille ans avant d’être considérés comme sans danger pour l’humain… Rien de moins qu’une éternité sur laquelle il faudrait être bien prétentieux pour prétendre avoir du contrôle…

C’est ainsi que Mankell s’interroge sur ce qu’il restera de notre civilisation une fois que celle-ci aura disparu… Sur la place de l’homme dans l’histoire.. Mais aussi, en filigrane, sur ces événements qui au fil de sa vie, ont fait de lui l’écrivain qu’il est devenu.

Quel est donc le sens de la vie ? Celle de l’auteur mais également celle de l’humanité toute entière? Bien sur, il n’y a pas de réponse ici. Mais tellement de réflexions suscitées qu’à la fin de chaque chapitre, je me sentais comme «obligée» de refermer mon livre devant cette évidence qu’il me faudrait un peu dormir là dessus.

Le livre se termine en mai 2014, avec l’annonce par son médecin du succès de la chimiothérapie. Mais en terminant le bouquin, on le sait nous que ce combat, il l’a perdu ! Son décès ayant été annoncé un peu plus d’un an plus tard, en octobre 2015.

«La responsabilité du choix, c’est aussi oser décider de quel côté on se situe dans une société injuste, traversée de conflits et marquée par l’indignité. C’est pourquoi nous sommes tous des êtres politiques, que nous le voulions ou non. Nous vivons dans une dimension politique fondamentale. Par le fait même d’exister, nous passons un contrat avec tous nos contemporains, mais aussi avec les générations futures.

Qu’est-ce qui conditionne nos décisions? Qu’est-ce qui oriente les choix que nous faisons, les idées qui sont les nôtres, ce que nous trouvons par exemple inadmissible? Que choisissons-nous de défendre, et que choisissons-nous de rejeter?

Avoir la possibilité de choisir ce à quoi on souhaite consacrer son existence est un grand privilège. Pour la très grande majorité des habitants de la planète, la vie est fondamentalement une affaire de survie, dans des conditions dramatiques.»

(- Sable mouvant, Henning Mankell, page 123)

Et vous ? Vous l’avez lu ? Qu’en avez-vous pensé ?

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